Entretien avec un lecteur numérique
Dans la chaine du livre numérique, le lecteur est sans doute l’acteur que nous connaissons le moins, surtout dans un marché aussi balbutiant que le nôtre. Cette semaine, Lettres numériques est parti à la rencontre d’un « phénomène » aussi rare que passionnant : un lecteur 100% numérique.
Notre homme, qui ne se sépare jamais de sa liseuse, est un informaticien belge quadragénaire que les initiés connaissent sous le pseudonyme de Lecteur en colère. Blogueur et numérisateur, il ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit des livres numériques et de leur qualité. L’occasion d’aborder avec lui sa perception du marché du livre numérique en Belgique et ses attentes de lecteur.
Quelle est, selon vous, la perception de la lecture numérique en Belgique ?
En Belgique plus qu’en France, la connaissance du livre numérique est limitée. On se retrouve pris entre deux extrêmes et rien au milieu. D’un côté, il y a les passionnés, qui comme moi font figure d’exception. Actifs sur Twitter, on échange, on se tient au courant des dernières nouveautés, on commente, on critique, on teste, on lit. De l’autre côté, il y a l’utilisateur lambda qui ne sait pas ce qu’est un livre numérique. Il n’en a peut-être même jamais entendu parler et va assimiler un pdf à un livre, ce qu’il n’est définitivement pas.
Comment expliquez-vous ce déséquilibre ?
En Belgique de manière générale, on dirait que rien n’est fait pour favoriser la lecture numérique. La peur de concurrencer le livre papier est bien palpable.
Prenons un exemple concret. La chaine de magasins Club distribue les liseuses Cybook odyssey de Bookeen, mais qui le sait ? Personne. Les liseuses ne sont pas exposées en vitrine. Il n’y a pas d’exemplaires de démonstration. Les appareils sont rangés dans les placards. Sans publicité, sans exposition, sans personnel formé à la vente de ces liseuses, le grand public ne peut s’y intéresser. Les gens ont besoin de tester, de manier l’objet, de se rendre compte des possibilités qu’offre une liseuse pour se convaincre de l’intérêt de la lecture numérique.
Le plus dommage, c’est que Club dispose d’un ancrage local bien plus important que la Fnac. Le grand public s’y rend fréquemment. Les clients potentiels sont là. Quoi de plus naturel que Club assume son rôle d’acteur culturel – ce que ne peuvent pas faire des enseignes comme Krefel ou Vanden Borre.
C’est un cercle vicieux. Si le grand public n’est pas informé de l’offre numérique, s’il la perçoit comme inaccessible, si personne ne met le numérique en avant en Belgique et si nous n’avons pas d’accès aux catalogues français, la demande n’augmentera pas. Il faudrait se montrer beaucoup plus proactif en la matière.
Comment le livre numérique redéfinit-il la chaine du livre ?
La chaine du livre a été complètement bousculée par l’arrivée du numérique et s’articule désormais autour des acteurs suivants : Auteur/Éditeur/Numérisateur/Diffuseur/Lecteur.
Le numérique peut fragiliser les éditeurs, car il affranchit les auteurs, désormais libres de publier eux-mêmes leurs ouvrages en ligne. Le rôle de l’éditeur doit être repensé. Il me parait évident qu’il doit continuer à assumer une sélection dans les livres qu’il publie et garantir une qualité éditoriale. Se sont ces deux éléments qui feront la différence dans une offre beaucoup plus étendue qui risque de perturber le lecteur. Face à une multitude d’ebooks, le lecteur numérique devra définir de nouveaux repères et faire le tri dans les nouveautés qu’on lui propose. Qui sera à même de l’aider ? Les critiques des blogs, certainement. Les libraires aussi, reste à savoir comment.
Abordons à présent votre expérience de lecture, pourquoi avoir renoncé en quelque sorte au livre papier ?
J’ai décidé de ne lire qu’en numérique. D’ailleurs, quand on m’offre un livre papier grand format, je ne m’y retrouve plus. Trop lourd, trop encombrant. Donc en quelque sorte, j’ai fait une croix sur le papier. J’ai bien conscience d’être une exception, mais je crois surtout que le numérique ouvre des possibles. Il permet à la fois plus et moins de choses.
Je constate également que mes habitudes de lecture ont évolué. Je suis moins sélectif, je m’aventure dans des genres que je n’aurais jamais envisagés auparavant. Avec la lecture numérique, on risque moins de regretter son achat. Je me souviens lorsque je lisais un livre papier, je mettais un point d’honneur à le finir. Ici, si au bout de 100 pages, je me rends compte que le livre n’est pas pour moi, ce n’est pas grave, je l’abandonne. Je sais que d’autres livres m’attendent. Pour le prix d’un livre papier, je peux lire entre 10 ou 15 livres numériques. Je pense notamment à la formule d’abonnement de l’éditeur Numériklivres qui propose des abonnements avec accès illimité à toutes les collections pour 80 euros/par an.
Qu’attendez-vous d’un bon livre numérique ?
En tant que lecteur, je suis très exigeant. J’attends d’un livre numérique qu’il soit vendu à un prix honnête, qu’il soit sans DRM et que son code soit en bon état. Je m’explique. J’entends par « prix honnête », un prix qui varie entre 0 et 15 euros. La gratuité ne s’appliquant qu’aux livres promotionnels ou aux livres libres de droits. Mais je suis bien conscient que le tout gratuit n’existe pas. La tranche de prix devrait varier selon le nombre de pages, la renommée de l’auteur, la qualité du contenu et son statut de nouveauté ou non.
Le DRM me dérange parce qu’il m’empêche de prêter mes livres ou de les revendre comme je le faisais pour le papier.
Le but du DRM est d’empêcher le piratage. Or, un DRM peut être enlevé en deux secondes. Quand on possède les connaissances nécessaires pour le faire, c’est très facile. De plus, le coût d’une telle licence peut représenter pour un éditeur plusieurs milliers d’euros. Pour moi, c’est une aberration. Bien sûr, c’est cohérent d’avoir peur de voir son catalogue diffusé gratuitement sur la toile. Je préfère alors la solution du tatouage contenant le nom de l’acheteur-lecteur et son adresse email s’affichant sur la 2e page de l’ouvrage.
Le DRM peut aussi se révéler un frein à la lecture numérique. Les fichiers peuvent être endommagés lorsqu’on rajoute un DRM et peuvent ne pas se télécharger correctement. Imaginez. Vous venez d’acheter un iPad, curieux, vous achetez un livre qui vous attirait depuis longtemps, après le téléchargement celui-ci refuse de s’ouvrir à cause du DRM. Ne seriez-vous pas frustré ?
Retrouvez la suite de l’interview la semaine prochaine. ..
— Stéphanie Michaux
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