Le sort des oeuvres indisponibles : l’Europe relance le débat
Une fois de plus, le projet de numérisation des œuvres indisponibles pose problème. Ce débat, abordé pour la première fois en 2011, revient sur le devant de la scène au niveau européen après la proposition de loi de février 2012 en France. Les mouvements d’opposition se multiplient et les critiques fusent, tandis que la situation semble figée dans un statu quo.
En septembre 2011, en effet, un protocole d’accord européen sur la possibilité pour les bibliothèques de numériser un certain nombre d’œuvres indisponibles venait d’être signé. Cela correspondait à une initiative de la Fédération des éditeurs européens (FEE), dont font partie le Syndicat national de l’édition français et l’Association des éditeurs belges (ADEB). La numérisation des œuvres devait alors se baser sur un accord volontaire entre les ayants droit et les bibliothèques concernées.
Mais le 22 février 2012, un projet de loi du parlement français change la donne : il prévoit la numérisation de 500 à 700 000 œuvres indisponibles du XXe siècle par la BNF (Bibliothèque nationale de France), et plus précisément des ouvrages qui ne sont plus diffusés depuis le 1er janvier 2001. Suite à l’élaboration d’une gigantesque base de données regroupant toutes les œuvres indisponibles pouvant être numérisées, le projet de loi stipule que les ayants droit ou les éditeurs disposent de six mois pour s’opposer, par écrit, à la numérisation des textes concernés.
Dans un premier temps, le Syndicat national de l’édition et la Société des gens de lettres
ont parlé d’un « système innovant qui permettra, dans le respect des droits des auteurs et des éditeurs, l’accès à plusieurs centaines de milliers d’ouvrages indisponibles pour le lecteur. » Cependant, ce projet de loi est loin de faire l’unanimité. Un collectif d’auteurs et d’ayants droit baptisé Le Droit du serf n’a pas tardé à qualifier le projet de « piratage officiel et général des œuvres littéraires du XXe siècle. » Et depuis, de nouveaux problèmes apparaissent fréquemment à propos des modalités de réalisation de ce projet.
Dès le début, le projet semble en contradiction avec le droit d’auteur et en particulier avec la notion « d’autorisation préalable » lorsqu’il impose aux auteurs et éditeurs de se manifester d’eux-mêmes pour s’opposer à l’utilisation de l’œuvre. De plus, le terme même d’œuvre indisponible reste très imprécis : se peut-il par exemple que des livres juridiquement répréhensibles tels que des ouvrages racistes ou homophobes soient numérisés dans le cadre de ce projet ?
Mais les principaux conflits apparaissent au sujet de la commercialisation des versions numériques desdites œuvres. Celle-ci devrait être coordonnée par une Société de perception et de répartition des droits (SPRD), spécialement créée pour l’occasion, qui se chargerait de contacter les éditeurs pour leur proposer d’exploiter les œuvres en question au format numérique. Ces derniers disposeraient alors de deux mois pour prendre une décision. La rémunération des auteurs et des éditeurs ne s’effectuerait que s’ils deviennent membres de la SPRD, ce qui implique bien sûr une cotisation. Beaucoup crient au scandale.
A l’heure actuelle, la question de la réalisation de ce projet n’est toujours pas résolue puisqu’il a récemment été souligné par le Syndicat des écrivains en langue française (SELF) qu’il s’agissait d’une loi anticonstitutionnelle. Les différents acteurs du débat espèrent pourtant arriver à un accord pour le début de l’année 2013.
Ainsi, face à de telles difficultés, il semble nécessaire d’aborder à nouveau la question à l’échelle de l’Europe, et c’est pourquoi un groupe d’experts des États-membres de l’UE se réunira le 13 septembre prochain pour débattre de la question. Il y sera également question du « Memorandum sur les principes-clés de numérisation et de mise à disposition des œuvres indisponibles » signé entre autres en 2011 par la Fédération des éditeurs européens. Le débat est donc encore à suivre, et le sort des œuvres indisponibles est loin d’être décidé. La suite le 13 septembre 2012.
— Stéphanie Michaux