Richard Stallman : « Il y a beaucoup d’injustices dans le livre numérique »
Son nom ne vous dit peut-être rien mais Richard Stallman a autant apporté à l’informatique de Steve Jobs ou Bill Gates. Véritable gourou du logiciel libre, il était présent à Bruxelles à la fin du mois de septembre pour promouvoir une société numérique libre. Lettres numériques l’a rencontré à cette occasion.
Je ne suis pas un très bon pour prédire le futur mais j’entrevois beaucoup de menaces actuelles à la liberté. Chaque sujet est différent mais elles sont nombreuses dans le cas du livre numérique.
A ce propos, comment envisagez-vous le droit d’auteur et comment le conciliez-vous avec votre conception de la liberté ?
D’abord je ne suis pas à contre courant du droit d’auteur mais je pense que toute œuvre publiée doit être partageable. Celui qui possède une copie doit pouvoir la partager de manière non commerciale, distribuer des copies exactes mais doit aussi avoir le droit de donner, prêter ou vendre sa copie. Cela ne signifie pas qu’on lui donne la liberté de faire n’importe quoi. Je crois qu’il restera beaucoup du droit d’auteur tel qu’il existe aujourd’hui.
Il faut distinguer différentes catégories de livres, notamment les ouvrages pratiques ou de référence comme les dictionnaires, les livres de cuisine ou les programmes informatiques. Toutes les œuvres du domaine pratique doivent être libres telles que je le conçois, c’est-à-dire qu’ils doivent porter les quatre libertés que j’applique aussi aux logiciels libres :
- la liberté 1 : la liberté d’utiliser l’œuvre comme on le souhaite,
- la liberté 2 : la liberté d’étudier l’œuvre dans sa forme la plus apte à être échangée avec la possibilité de la modifier, et l’utiliser dans une version modifiée,
- la liberté 3 : la liberté de redistribuer des copies exactes de l’œuvre,
- la liberté 4 : la liberté de redistribuer des versions modifiées.
Payer des auteurs, c’est utile si les œuvres produites sont éthiques mais pour une œuvre d’utilisation pratique, j’estime qu’elle ne peut être éthique et utile que si elle est libre. Donc, à mes yeux, payer quelqu’un pour l’élaborer est nocif. Les Etats devraient exiger que les ressources éducatives soient libres et devraient être prêts à les financer.
Il faut donc différencier la catégorie et l’objectif de chaque œuvre ?
Exactement, il faut aussi distinguer les œuvres qui traduisent la pensée de quelqu’un et les œuvres de pure création ou de divertissement. La façon dont l’œuvre va contribuer à la société va déterminer son traitement. Je ne dis pas que les œuvres de fiction doivent être libres même si certains le prônent.
Je suis pour le fait de rétribuer les artistes (nous avons besoin d’eux pour avoir des œuvres) mais pas au prix de ma liberté. Les réseaux peer-to-peer devraient être légaux pour partager légalement les copies. Mais alors comment rémunérer les artistes ? Le droit d’auteur fonctionnait très bien à l’époque de l’imprimé car le partage n’était pas aisé à large échelle. Ce n’est plus viable aujourd’hui, j’ai donc proposé deux façons de rémunérer les artistes. Le premier système pourrait fonctionner avec l’argent de l’Etat qui prélèverait une taxe sur les connexions internet. Une certaine partie de cet argent serait reversée aux artistes en fonction du succès de chacun. On pourrait le mesurer soit par le nombre d’échange sur les réseaux peer-to-peer soit par des sondages et on répartirait l’argent sur cette base mais pas en proportion linéaire. La deuxième façon de rémunérer les artistes serait de donner la possibilité à chacun de faire des petits dons de manière anonyme.
Comment envisagez-vous le marché du livre numérique ?
Pour moi, les grands groupes actifs dans la sphère culturelle cherchent à éliminer nos droits traditionnels. Il y a beaucoup d’injustices comme les menottes numériques, c’est comme cela que j’appelle les DRM, Digital Restriction Management. L’ennemi dira Digital Right Management, a contrario j’insiste sur le Restriction.
Pourriez-vous préciser votre pensée ?
Les livres numériques proposés à la vente par des entreprises comme Amazon sont empreints d’injustices en comparaison aux livres imprimés. Lorsque j’achète un livre dans une librairie, je peux le faire dans le plus grand anonymat en payant en liquide. C’est la seule manière qui me convienne car je refuse qu’une base de données puisse lister mes achats. Par principe, je paie toujours en liquide sans m’identifier mais c’est impossible dans le cas d’une procédure en ligne. Je ne trouve pas cela éthique.
Les menottes numériques me posent aussi de graves problèmes, je l’ai dit précédemment. Les contrats eux-mêmes sont porteurs d’injustice. Dans la loi américaine, j’ai le droit de prêter ce livre papier, de le donner, mais avec les livres numériques, je ne peux pas le faire. C’est injuste. Il faut refuser cette perte de liberté et je n’achèterai jamais un livre numérique pour ces raisons. Je fais pareil avec la musique, je vais toujours chez mon disquaire pour préserver ma liberté.
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— Stéphanie Michaux
J’aimerais bien savoir comment Monsieur Richard Stallman est payé. S’il trouve injuste de donner son numéro de compte pour recevoir de l’argent, ou si on le paie en liquide par exemple.
Je dois avouer que je ne comprends pas tout à fait son raisonnement.
Les auteurs devraient donc selon lui devenir des « assistés du gouvernement » ou être payé au bon vouloir des lecteurs, devenir des sortes de mendiants?
Et comment faire de petits dons anomymes? En allant déposer des piécettes dans la boîte au lettre des auteurs?
Les renseignements contenus dans les livres pratiques se trouvent souvent gratuitement sur internet. Si quelqu’un a pris le temps de les compiler, les organiser, les illustrer et les commenter, il n’aurait pas le droit de recevoir de rémunération pour cela? Pire, il devrait faire tout ce travail pour que d’autres puisse le vendre?
Il faudrait vraiment qu’on m’explique son modèle….
Marie-Noël Damas