Écriture numérique et création littéraire : la poésie mène la danse
Le livre numérique ouvre aux lecteurs de nouvelles perspectives multimédias. La littérature commence seulement à en prendre la mesure. De quoi faire radicalement évoluer l’expérience de lecture ?
On l’a dit et redit, l’informatisation du support de lecture, et la numérisation du texte, permet d’intégrer les technologies du multimédias. Alors qu’à leurs débuts, les livres numériques n’étaient que des reproductions homothétiques des livres papiers, très vite, nous avons assisté à l’augmentation multimédia de leurs contenus. Liens hypertextes, sons, photos, vidéos et connexions internet, les liseuses ont pris exemple sur cousines tablettes.
Jusqu’à présent, les bénéficiaires de ce grand débarquement technologique ont d’abord été les livres scientifiques ou éducatifs. Ils facilitent grandement le travail des professeurs et enseignants, ils font carrément évoluer la pédagogie et la façon de donner cours.
Quand la littérature se tâte ….
La littérature, elle, restait à la traine. Pascale Fonteneau, auteur chez Gallimard dans la prestigieuse « Série Noire », exprime ses doutes : « Dans l’état actuel des choses, le livre numérique ne me convainc pas. Lire Maupassant sur une page en papier ou sur un écran, quelle différence pour le lecteur ? Je rejoins l’avis de François Bon (ndlr : un des pionniers du livre numérique en France) : il y a tout à créer ! C’est un nouveau support, donc il faut un nouveau contenu. Écrire pour le numérique comme pour le papier n’apporte pas de plus-value. Le défi est là« .
Au contraire, les éditeurs de ONLiT, Pierre de Muelenaere et Benoît Dupont (derrière qui se cache l’auteur Edgar Kosma) ne sont pas accrochés par l’idée. « Par définition, l’évolution des genres est intéressante. Les liseuses vont induire un changement dans l’écriture. Les expériences trans-genre, avec de la vidéo, de la photo, de la musique et même pourquoi pas une intégration des réseaux sociaux, vont se multiplier. Mais il ne faut pas oublier que si un texte est bon, il se suffit à lui-même. Pas besoin d’y ajouter de la photo ou de la vidéo » confie Pierre de Muelenaere.
Benoît Dupont ajoute : « quand on lit un Stephen King, on n’a pas envie d’être dérangé. C’est vrai que le modèle numérique nous habitue à être sollicités en permanence, à papillonner, mais la lecture reste un moment privilégié que les gens ont envie de préserver« .
Ces doutes, ces craintes et ces conceptions différentes de ce que devrait être ou non le livre numérique sont révélateurs d’un état de fait : nous sommes à l’an zéro de l’histoire du livre numérique. Il s’agit d’un espace vierge. « On explore » conclut Pierre de Muelenaere.
Une exploration confirmée par Julien de Marchin, responsable éditorial de Bebooks : « on est encore dans une période très enthousiaste, où tout le monde s’émerveille un peu de la technique. On expérimente beaucoup sur la forme. Dès que ces moyens techniques seront rentrés dans les mœurs, on se re-concentrera sur le fond et le texte« .
D’ailleurs, Julien de Marchin partage la prudence de ONLiT pour les nouveaux modes d’écriture : « je ne cherche pas à enrichir un texte à tout prix. Il faut faire attention, sinon les textes deviennent des applications qui clignotent dans tous les sens« . Il précise : « Cependant, si c’est pour faire un bouquin qui n’a que du texte, pour moi, autant le faire en papier. Le livre papier est un plus bel objet qu’un fichier epub« .
… la poésie se lance
L’écriture numérique est l’occasion rêvée pour la poésie de reprendre sa place à l’avant-garde de la création littéraire. À l’image des auteurs Dada en leurs temps, la poésie numérique réinvente la forme et jouit d’une liberté presque infinie.
Pour se faire une idée, quelques sites méritent le coup d’œil :
- http://www.dreamingmethods.com/,
- http://www.e-critures.fr/V3/,
- http://revuebleuorange.org/,
- http://www.mandelbrot.fr/.
On peut y lire des textes qui mêlent et entremêlent des images, des sons d’ambiance, parfois même de la vidéo. Les images bougent, le texte aussi, au rythme des sons et de l’évolution visuel. Les mots se croisent et changent de sens. Le résultat est peut être maladroit, parfois un peu gratuit, mais il lui arrive d’être séduisant.
Beaucoup plus tôt, Xavier Malbreil avait écrit « 10 poèmes en 4 dimensions« . Un premier essai qui vieillit mal. Conçu sur et pour PC, sous Internet Explorer, le poème accuse son âge. L’écriture numérique n’est donc pas à l’abri de l’obsolescence des technologies. Alors que l’on peut encore lire et éditer du Aragon, on imagine difficilement comment on pourra lire, dans dix ans, les poèmes en 4 dimensions de Malbreil. L’écriture aura-t-elle dans le futur une date de péremption ?
Quoi qu’il en soit, les expériences, les expérimentations, auxquelles nous assistons tendent à prouver l’intérêt des auteurs pour une reformulation de l’acte d’écriture.
L’évolution du genre est entre leurs mains, mais ça, ça n’a pas changé …
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— Martin Boonen