L’Open Access analysé du point de vue des éditeurs
Pour aborder le complexe débat de l’open access, nous avons souhaité donner la parole à plusieurs acteurs concernés par cette problématique. Benoit Dubois, en sa qualité de président de l’association des éditeurs belges et du groupe Averbode, a accepté de s’exprimer sur ce débat et aborder également le programme Opening Up Education.
L’origine du mouvement
Concentrons-nous dans un premier temps sur l’open access. À la base de ce débat, il y a surtout la volonté de l’OCDE de créer de la croissance en augmentant la vitesse de diffusion de l’information avec pour credo que ce qui a été payé par des fonds publics appartient au public.
Cette réflexion est tout à fait compréhensible, mais il est vrai que l’open access engendre une grande tension entre les éditeurs scientifiques et les institutions universitaires auxquelles sont liés les auteurs d’articles scientifiques. Derrière cette « grogne », se cachent des considérations financières : les éditeurs (et surtout ceux qui publient de nombreuses revues scientifiques) sont accusés de se faire de l’argent sur le dos des chercheurs. Le paradoxe de l’histoire c’est que ces chercheurs ne sont pas en quête de rémunération mais de visibilité. Tous les éditeurs, qu’ils soient de grands groupes ou des éditeurs de taille moyenne ou de petite taille qui jouent un rôle pourtant considérable dans la diffusion du savoir, la mise en évidence des chercheurs et de leur travail ainsi que la validation des informations publiées. On peut donc se demander en tout état de cause qui est à même de remplacer les éditeurs si on venait à les exclure de la chaine.
La situation belge
En Belgique, nous défendons ces éditeurs par le biais de l’ADEB. Nous abordons le problème dans son ensemble mais surtout à notre échelle. Nous constatons néanmoins qu’il existe des différences fondamentales entre les divers domaines éditoriaux : ce qui est vrai pour les sciences humaines n’est pas toujours applicable pour l’économie ou la physique. Par conséquent, imposer un temps limité de commercialisation homogène, comme certains le prônent, est quelque chose qui n’est pas pensable.
Une conjoncture difficile pour les éditeurs
De plus, ce débat arrive à un mauvais moment pour les éditeurs. Les éditeurs scientifiques, déjà fragilisés par l’érosion de la vente de livres, voient remettre en question leur autre source de revenus.
Dans ce débat, il y a des éléments que nous pouvons comprendre, notamment sur les réflexions sociétales qui sont menées, mais d’un point de vue économique, l’open access risque de mettre les éditeurs en grandes difficultés financières. Les discussions à ce sujet ne sont pas encore bouclées et il reste encore une marge d’appréciation très large et dans cette optique, nous devons nous demander : quelle est la valeur ajoutée de l’éditeur ?
À cette question, il faut reconnaitre que les universités sont incapables de fournir les mêmes services que les éditeurs. Sur la forme, l’éditeur impacte sans conteste la lecture du contenu. Il peut également mobiliser des outils plus adapté pour accroitre la visibilité des articles. Publier un article sur le site d’une université ou via un réseau de diffuseurs spécialisés n’a bien entendu pas la même portée.
L’Opening Up Education
Le deuxième point que je souhaiterais aborder est le programme Opening Up Education promu par la Commission Européenne. Inspiré par l’open access, l’Union Européenne estime qu’on gagnerait en qualité d’enseignement si l’on pouvait mettre gratuitement les manuels scolaires gratuitement à disposition du public après une durée de 3 à 5 ans.
D’un point de vue commercial, cette période n’est absolument pas envisageable car un manuel scolaire n’est jamais rentable en 3 ans ; n’oublions pas que certains manuels peuvent avoir une durée de vie de 10 à 15 ans ! Cette décision ferait supporter des grands risques aux éditeurs et nous n’aurions jamais la certitude de savoir si le livre est adapté à son public on non. À nos yeux, il s’agit également d’un sérieux coup de canif dans le principe de la libre entreprise.
Si l’on considère maintenant le problème d’un point de vue éditorial, c’est nier le travail de l’éditeur qui fait émerger un contenu validé, une présentation d’idées utilisables et la valeur ajoutée de la mise en page qui permet une lecture et un apprentissage plus fluide.
La définition du manuel scolaire à la base du débat
De plus, on note un grand flou dans la définition même du manuel scolaire. Qu’est-ce qu’un manuel scolaire, est-ce l’ensemble des livres prescrits par les enseignants ? Si oui, en fin d’humanités, les élèves ont un grand nombre de livres issus de la littérature mondiale à lire. Ces contenus doivent-ils dès lors être mis gratuitement à disposition du public ? La question est fondamentale car elle pèse sur le modèle économique des éditeurs belges mais se réfère aussi à l’organisation de l’enseignement. En Belgique, ce sont les parents qui paient les manuels scolaires tandis qu’en France c’est l’état qui en finance l’achat. C’est une différence notable pour le secteur de l’édition.
Très récemment, la Flandre a adopté un décret fixant la cession automatique des droits patrimoniaux des professeurs au bénéfice de leur pouvoir organisateur. Cette mesure conduit à un transfert du privé vers le public avec au final, le risque de ne retrouver qu’un seul éditeur ou deux. On peut observer cette tendance depuis longtemps un peu partout en Europe. À mes yeux, cette initiative pose question non seulement en termes de méthodologie mais aussi d’idéologie par la suppression de la pluralité.
Le respect des droits d’auteurs
On crée beaucoup d’exceptions pour l’enseignement, notamment pour la valider des droits d’auteurs. De nombreuses plateformes communautaires de professeurs en ligne bafouent le droit d’auteurs. Il n’y a pas un mois sans que les éditions Averbode n’envoient un courrier pour signaler qu’un contenu mis en ligne par un professeur viole nos droits d’auteurs. On peut dès lors se demander si les droits d’auteurs s’arrêtent aux murs de la classe ; chaque année, plus de 650 millions d’œuvres protégées sont photocopiées en Belgique à des fins scolaires, cela équivaut à 400 pages par élève, soit 2 ou 3 livres.
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— Stéphanie Michaux