Hervé Woltèche de Snel : l’imprimerie a encore sa raison d’être
Souvent soupçonnés d’être les grands perdants de l’avènement du livre numérique, les imprimeurs n’associent pas forcément les changements opérés au sein de leur industrie à cette dématérialisation. Pour nous en dire plus, Hervé Woltèche, attaché à la direction de l’imprimerie Snel, a accepté de répondre à nos questions.
Quel est l’impact du livre numérique sur votre travail ? Pensez-vous que le livre numérique menace le secteur de l’imprimerie ?
Oui et non. Oui, parce que les éditeurs ou nos autres clients vont forcément moins imprimer. Les rapports annuels de sociétés s’impriment par exemple en moins d’exemplaires qu’avant ou sont envoyés par PDF. Et non, parce que je pense qu’il y a plusieurs manières de répondre aux demandes des éditeurs, notamment via l’impression numérique que nous proposons à nos clients depuis deux ans. Je pense que les différents modes d’impression peuvent coexister.
Pourriez-vous brièvement expliquer ces différents modes d’impression et dans quels cas ils sont utilisés ?
Il y a donc l’impression rotative présentée sous forme de papier en bobines, qui est utilisée pour les journaux de la presse. L’offset utilise des palettes de feuilles et convient plutôt aux tirages moyens car on joue sur le qualitatif. L’impression numérique est quant à elle moins qualitative, bien qu’il y ait une certaine amélioration. Il s’agit de grosses photocopieuses si on veut simplifier. Ces différentes méthodes coexistent car, en fonction du nombre de tirages demandés par le client, notre choix se porte sur l’une ou l’autre technique. Nous recourons par exemple à l’impression numérique pour les petits tirages, notamment dans le domaine de l’édition juridique. C’est ce cas précis qui me conforte dans l’idée que l’imprimerie a encore sa raison d’être puisque le livre juridique est l’exemple même de vie conjointe entre le papier et le numérique. L’ouvrage peut être consulté en ligne mais nécessite une présence papier car ces ouvrages sont souvent volumineux.
Observez-vous une évolution des demandes des éditeurs ?
Nous travaillons avec des maisons d’édition qui publient aussi bien des romans que des ouvrages scientifiques, scolaires ou des beaux livres. Nous réalisons couture et cartonnés en interne. Je pense que l’impression numérique permet à certains éditeurs de se faire plaisir de temps en temps avec un livre-objet, tout en réduisant le coût sur des livres plus grand public. Je sais que les éditions Luc Pire par exemple proposent conjointement des livres numériques et des livres cartonnés. C’est intéressant de voir que les deux coexistent dans la même maison d’édition.
Que pensez-vous de l’impression à la demande ?
Nous y réfléchissons. Je ne pense pas que le concept menace le métier, bien au contraire. Le livre numérique a vu fleurir des maisons d’édition 100% digitales, ce qui a permis à des auteurs d’être imprimés, lesquels n’auraient pas bénéficié de l’occasion si le système n’avait pas été mis en place grâce au numérique. L’aspect positif, c’est que plus de livres vont donc être imprimés.
Le numérique a-t-il engendré une baisse des tirages ?
Chez Snel, nous ne travaillons pas qu’avec des éditeurs. Nous misons également sur les beaux livres et collaborons avec la France pour des magazines de luxe ou des entreprises qui ne font pas de l’aspect financier une priorité. Il y a donc toujours une demande pour notre imprimerie mais il est certain que pour garder sa clientèle, il faut s’efforcer d’être créatifs afin de répondre aux nouveaux besoins.
Avez-vous observé une évolution fulgurante du marché du livre avec l’arrivée du livre numérique ?
Il y a eu une évolution rapide qui ne relève pas du numérique mais plutôt de l’ouverture vers le marché des pays de l’est comme la Turquie ou la Chine. Maintenant, on observe un retour en sens inverse car il y a eu des problèmes de qualité du travail fourni. Pour beaucoup de clients, être loin de sa production est risqué. Nous avons également observé des changements avec l’arrivée du print via le Web, c’est-à-dire des sites qui proposent l’impression à distance et l’envoi par exemple de cartes de visite. Il y a donc bien une évolution du marché mais qui n’est pas vraiment liée au livre numérique.
Voyez-vous la production des éditeurs changer ? Prennent-ils moins de risques ?
Les éditeurs se spécialisent. C’est sûr que nous devons faire un maximum pour séduire les maisons d’édition. Qui me dit que le livre numérique d’aujourd’hui sera encore valable dans deux ans ? Le livre que j’imprime, dans 20 ans, il sera toujours là. Celui qui revendique le livre numérique pour une cause écologique, en prétendant que l’imprimerie contribue à la déforestation, je lui répondrai que c’est de la désinformation pure et simple. Il faut savoir qu’on ne coupe pas d’arbres pour faire du papier mais que les livres sont faits à partir des déchets du bois destiné à des meubles. De manière générale, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde et pour toute la production, qu’elle soit numérique ou papier, qu’il s’agisse de livres de fond, de consommation, de vulgarisation etc. Le tout est de trouver une symbiose entre les différents supports.
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— Stéphanie Michaux