Louis Wiart : « Des passerelles entre réseaux sociaux de lecteurs et livres numériques sont développées »
Les réseaux sociaux de lecteurs ont de plus en plus de succès auprès des internautes. L’arrivée du livre numérique a-t-il eu un impact sur l’évolution de ces outils de prescription, véritables opportunités à saisir pour les professionnels du livre ? Louis Wiart, formateur au PILEn, pour lequel il a dernièrement rédigé un article, et doctorant à l’Université Paris XIII où il prépare une thèse consacrée aux réseaux socio-numériques de lecteurs, nous en dit plus sur le sujet.
Vous êtes formateur au PILEn. Selon vous, quels sont les acteurs du livre les plus demandeurs de ce genre de formations et comment réagissent-ils face à cette nouvelle forme de visibilité, de prescription qui émane des lecteurs ?
Ces formations peuvent intéresser tous les professionnels du livre dans la mesure où les réseaux sociaux de lecteurs fournissent un large éventail d’outils et de services promotionnels, mais ce sont surtout les maisons d’édition et les auteurs qui sont concernés. Les bibliothèques et les librairies en ligne n’y sont pas étrangères, ne serait-ce que parce que plusieurs réseaux peuvent leur louer des contenus pour enrichir leur catalogue informatisé. Il faut dire que les réseaux sociaux de lecteurs existent, pour certains, depuis une dizaine d’années déjà. Beaucoup d’acteurs du livre sont familiers de ces sites alors que d’autres sont curieux et désireux d’y organiser une présence. D’autres encore restent plutôt méfiants.
Quels sont justement les risques de ces réseaux (commentaires négatifs, biaisés, etc.) ? N’y a-t-il pas des dérives ?
Selon les responsables de réseaux que j’ai pu rencontrer et interroger, les commentaires négatifs sont plus rares que les commentaires positifs. On a peut-être peu l’occasion de lire un livre qui nous déplaira totalement en raison de l’engagement et du temps que l’activité de lecture implique. Quant à la question des commentaires biaisés, il ne fait aucun doute que les réseaux sociaux de lecteurs sont régulièrement confrontés à des tentatives d’autopromotion, c’est-à-dire à des personnes qui cherchent à mettre en avant leurs propres livres en rédigeant des critiques favorables. Je sais qu’il existe même des agences spécialisées dans la rédaction de faux commentaires, pratique plutôt courante dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration, mais dont j’ignore l’existence dans le domaine culturel. Pour contourner ces difficultés, des mécanismes de modération sont mis en place.
Comment les professionnels du livre peuvent-ils concrètement prendre part à ce processus de plus en plus répandu ?
Un certain nombre de maisons d’édition possèdent leur propre réseau. MyBoox, qui est une sorte de magazine littéraire adossé à une communauté de lecteurs, est une initiative d’Hachette, tandis que dans le monde anglophone, Bookish, qui a récemment été revendu à la librairie numérique Zola Books, a été lancé au départ par Hachette, Penguin et Simon and Schuster. C’est vraisemblablement dans le secteur de la littérature jeunes adultes que les initiatives d’éditeurs sont les plus nombreuses, sans doute en raison du profil du lectorat, par définition plus jeune et souvent plus engagé dans les nouveaux médias. Citons les cas de Lecture Academy (Hachette), Wiz (Albin Michel), A blog ouvert (Univers Poche), Lire en série (Michel Lafon), Livre attitude (Rageot), avec toujours l’idée d’organiser une communauté autour des livres de son catalogue. Sinon, pour ceux qui ne disposent pas de tels outils de communication, il y a des possibilités d’intervenir par l’intermédiaire de la publicité (affichage, concours, jeux, sponsoring, previews, etc.), de services presse (l’éditeur envoie gratuitement des livres aux internautes en échange de la rédaction de critiques) et d’opérations promotionnelles spéciales (par exemple, « La Voie des indés » de Libfly qui est consacrée, à chaque rentrée littéraire, à la petite édition indépendante).
Quels genres sont les plus plébiscités sur les réseaux sociaux de lecteurs ?
Tout dépend du réseau que vous considérez. Il y a d’un côté les réseaux généralistes, plutôt dominés par la littérature de fiction, avec des genres comme le polar, la Science-fiction et la Fantasy qui sont particulièrement bien représentés, mais également les classiques prescrits à l’école ou encore les livres liés à l’actualité littéraire. De l’autre, il y a des réseaux spécialisés, par exemple dans les domaines de la BD, du manga (Manga Sanctuary) ou de la littérature jeunes adultes.
Le livre numérique a-t-il eu un impact sur ces réseaux ?
Les premiers réseaux sociaux de lecteurs sont apparus à partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000, avant même qu’un marché du livre numérique commence à émerger (Critiques Libres, Zazieweb, BdGest, L’agora des livres, Coin BD). Au fur et à mesure, d’autres plateformes ont été lancées (Babelio, Sens Critique, Booknode, Livraddict, Entrée Livre, etc.), proposant des outils plus nombreux et plus complexes, le plus souvent articulés autour de systèmes de contacts. Aujourd’hui, des passerelles entre réseaux sociaux de lecteurs et livres numériques se développent. Certains sites web permettent de lire directement des livres numériques (Lecteurs, Goodreads) ou d’en acheter (MyBoox dispose d’un ebook store). Des contenus peuvent également circuler entre les plateformes (sur Shelfari, on retrouve les passages les plus surlignés dans le Kindle par exemple), tandis que des outils de lecture sur écran intègrent des fonctionnalités sociales, que celles-ci soient insérées dans des liseuses (Kobo, Kindle) ou dans des applications disponibles sur tablette ou smartphone. Signalons que depuis son rachat par Amazon l’année dernière, Goodreads est maintenant directement accessible depuis le Kindle. Il existe aussi des plateformes comme Open Margin, Book Shout ou Copia qui organisent des communautés autour du livre numérique à partir d’outils qui permettent d’annoter et de surligner des ebooks, mais aussi de partager ces activités et de suivre celles d’autres membres. Des points de rencontre se mettent donc en place entre commerce numérique, lecture numérique et prescription numérique, notamment sous l’impulsion d’acteurs qui sont présents à ces différents niveaux de la chaîne de valeur.
Propos recueillis par Gaëlle Noëson
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— Gaëlle Noëson