Amazon et Hachette : le combat des géants
Tout a commencé lorsque Amazon, le revendeur, et Hachette, l’éditeur, se sont mis à renégocier les termes du contrat qui les liaient : Amazon achète à Hachette – et à quantité d’autres éditeurs – leurs livres à un certain prix, et les revend ensuite au prix qu’il souhaite fixer. Amazon facture de plus aux éditeurs un certain pourcentage pour ses services comme la mise en avant d’un titre sur ses étagères virtuelles. Amazon voudrait augmenter la commission qu’Hachette lui verse pour ces services. La perspective n’enchante guère Hachette.
Résultat des courses, il est devenu difficile, voire impossible, de se procurer des ouvrages publiés par Hachette via le site Amazon. Une situation qui pénalise tout à la fois éditeur, revendeur, auteurs et lecteurs. Pourtant, ni Hachette ni Amazon ne veulent céder, et pour cause: les enjeux de chaque côté sont capitaux.
Amazon tient à pouvoir continuer à offrir ses livres à bas prix, quitte à y faire des pertes: les livres, coeur du métier d’Amazon, servent en fait d’appâts pour la multitude d’autres objets en vente sur le site. De plus, céder à Hachette créerait un dangereux précédent pour Amazon. En effet, le revendeur négocie avec toute une série d’autres éditeurs comme Penguin Random House, Harper Collins, Macmillan. Ceux-ci lorgnent le duel avec attention. Or ce qui fait la force d’Amazon, ce n’est pas seulement ses prix, mais également son étendue. The Economist avance que Amazon gère notamment 60% du marché des e-books, tout en nuançant aussitôt : ces chiffres sont extrêmement difficiles à vérifier. Toujours est-il qu’Amazon veut préserver cette position de force, à tout prix… Preuves à l’appui : l’action de Amazon est à présent en-dessous des 300 dollars, alors qu’elle a connu un pic à 402 dollars en décembre 2013, relève Le Monde. Les investisseurs attendent donc aussi sans doute le géant au tournant. Des auteurs, dont le célèbre Stephen Colbert, blâment avec énergie ces pratiques d’Amazon. Surtout, les clients, qu’Amazon choyaient entre autres avec ses délais de livraison ultra-courts, se trouvent ici un peu déroutés – voire dégoûtés pour certains ? Bref, Amazon paie le prix plein mais tient bon : ses prix et sa présence vont de pair et sont peut-être bien en jeu ici.
Les éditeurs, eux, voient leur marge se faire grignoter par ces commissions dont Amazon serait toujours plus gourmand. Et plus cette marge diminue, moins les éditeurs seront disposés à investir dans des livres et des auteurs qui ne s’annoncent pas (très) rentables (rapidement). Par ailleurs, si tous les éditeurs se retrouvent derrière un même revendeur, celui-ci a le champ libre pour leur dicter sa loi. Si les éditeurs veulent faire le poids, ils se trouvent obligés de joindre leurs forces, ce qui réduirait d’autant la compétition et la variété sur le marché. C’est donc ici tout le métier des éditeurs qui est en jeu.
Notons au passage qu’en 2010, plusieurs grands éditeurs (dont Hachette) ont tenté de travailler ensemble et avec Apple afin d’imposer un autre modèle, celui de l’agence. Dans ce modèle, le revendeur agit comme l’agent de l’éditeur: il revend un livre en se basant sur un prix fixé par/avec l’éditeur et en prenant une commission fixe (e.g. 30%) sur chaque vente. L’affaire s’est retrouvée devant la justice… au motif de collusion!
Bref, lorsque un ou des acteur(s) de poids concentrent leurs ressources afin d’assurer leur position de force, les lecteurs n’en pâtissent pas nécessairement à court terme. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, Amazon a intérêt à continuer à vendre tous ces livres à des prix alléchants. À long terme par contre, la variété et la qualité des livres disponibles risquent d’en pâtir. Et là, ce seront les lecteurs et leurs auteurs qui paieront les pots cassés. La façon, concurrentielle ou non, dont les livres sont publiés et (re)vendus a un impact certain, à plus ou moins court terme, sur leurs conditions de production et de réception. D’où l’importance de recourir à des stratégies diverses et variées pour éditer et… acheter!
Ailleurs sur la toile:
Un autre point de vue sur la question, par David Gaughran
Crédit photo: nextpowerup.com
— Sibylle Greindl