Le livre-web : innovations avec « Radius » des éditions Walrus
Il y a quelque temps, Lettres Numériques publiait un billet dans lequel je me permettais de pousser un petit coup de gueule sur la diversité des supports et formats numériques qui entravaient tout mouvement de lecture un peu spontané. Le jour même, je tombais sur ce billet publié par les éditions Walrus, dans lequel la maison d’édition numérique annonçait la mort du format .epub au profit de quelque chose de plus simple… Ce quelque chose, c’était le livre-web ou web-book.
Livre-web, qu’est ce que c’est ?
Comme son nom l’indique, le livre web est un livre qui ne se présente pas sous un format .epub, .mobi ou autre autre mais bien sous la forme d’un site internet. L’expérience de lecture s’approche de celle pratiquée lors de la lecture d’un article de presse diffusé sur le net. L’avantage, c’est que ce contenu texte, vidéo et son est accessible sur tous les appareils connectés, mais le lecteur doit justement être connecté pour y accéder (du moins dans un premier temps).
De ce côté de l’Altantique, le livre-web n’est pas une pratique extrêmement courante même si elle tend à se développer… on a d’ailleurs trouvé un exemple intéressant de livre-web scientifique qui sera diffusé très bientôt sur LeMonde.fr, il s’intitule La Tache de Darwin.
Radius, le premier livre-web de Walrus
Un autre exemple, plus atypique celui-là, a été mis sur pied par la maison d’édition numérique Walrus. En décembre dernier, Walrus lançait son premier livre-web appelé Radius. Présenté comme un livre-web autant que comme une expérience de lecture, Radius est l’œuvre d’un scénariste et de 6 auteurs écrivant l’histoire de leur propre personnage sous la forme d’un journal de bord.
Structure, narration et points communs avec les jeux de rôle
Récit d’anticipation et web-livre, c’est pourtant dans sa structure narrative que Radius semble innover le plus. Sa méthode : le scénariste, Neil Jomunsi, trace les grandes lignes de l’histoire que les 6 auteurs du projet choisissent de suivre ou non. Il est le seul à connaître la fin de l’histoire et son rôle est de réussir à conduire ses auteurs et donc leur personnage jusque-là. La difficulté du scénariste réside principalement dans le fait qu’il ignore totalement les réactions et surprises que lui réservent les personnages.
Quand on découvre la structure narrative de Radius, on ne peut s’empêcher de la comparer à celle de certains jeux de rôle, qu’ils soient grandeur nature ou non. D’ailleurs, sur son blog personnel, Neil Jomunsi, le scénariste, se présente lui-même comme le « maître de jeu » du projet et confirme lors de notre interview cette interprétation de la structure : » Oui, cela peut être tout à fait comparé à une sorte de jeu de rôle… littéraire. Les auteurs sont des joueurs, dont les personnages enquêtent sur une intrigue établie par un scénariste (moi en l’occurrence) — qui peut être comparé à un maître de jeu. L’esprit est là, en tout cas. » Effectivement, les points communs avec les jeux de rôle sont divers : chaque auteur écrit le journal de bord de son propre personnage, ce qui ne l’empêche pas de relater des faits qui se sont produits en présence d’autres personnages ; néanmoins, chacun propose en tout ou en partie sa vision et interprétation de l’épisode vécu.
La temporalité pourrait également constituer un autre point commun entre les jeux de rôle et le web-livre. En effet, le projet s’étale sur un an, au terme duquel sera publié en version .epub la totalité de l’œuvre. D’après les explications recueillies auprès de Quentin Le Bussy, rôliste confirmé, certains jeux de rôle grandeur nature se structurent également comme tels : des petits épisodes se jouent pendant l’année (interlive), ensuite, lors d’un gros event, l’ensemble des personnages se retrouvent pour vivre leur histoire version grandeur nature et au terme de ces quatre jours, les organisateurs rédigent l’épilogue récapitulatif. Il semblerait également que l’année qui suit, des morceaux d’histoire se rejouent environ tous les deux mois.
Une chose est sûre, Radius est un livre à part, tant du point de vue de la forme que de sa construction… Néanmoins, quelques petites choses pourraient rebuter certains lecteurs, à commencer par le prix.
Prix et customisation de lecture
Pour accéder au récit, il faut se connecter au web et surtout acheter le livre. Le lecteur doit créer son compte, régler le montant de l’achat qui s’élève tout de même à 25 euros et organiser son profil. 25 euros pour un livre numérique, ça reste un prix et selon les commentaires des internautes, ce prix semble être une entrave assez importante d’un point de vue de la réception.
Pour ce qui est de l’accès, vous pouvez choisir de lire le livre dans sa totalité ou les aventures des personnages qui vous intéressent. Le site mémorisera vos choix ainsi que l’endroit où vous vous étiez arrêté lors de votre dernière lecture. Au terme de l’expérience, les fichiers ebook (.epub/.mobi) et .pdf, seront envoyés par mail afin que le lecteur puisse relire Radius en mode hors-ligne et l’archiver. « Rien ne vous empêche en attendant de sauvegarder les pages web par vos propres moyens : ce livre vous appartient, puisque vous en avez fait l’achat », précise également le site internet.
D’après Neil Jomnusi, le scénariste, ceux qui ont acheté le livre lisent presque toutes les contributions : « Les parties gratuites sont plus lues que les parties payantes, oui, mais c’est normal dans la mesure où les gens qui veulent se faire une idée du contenu commencent d’abord par les parties gratuites. Notre vraie victoire, c’est que ceux qui ont acheté leur accès à Radius lisent presque toutes les contributions, ce qui veut dire que l’histoire leur plait et qu’ils y sont fidèles. Les personnages fonctionnent à peu près tous de la même manière, et je pense que cela tient à ce que leurs différents chemins narratifs se croisent en permanence : du coup, les lecteurs veulent connaître l’histoire aussi du point de vue des autres. »
Livre-web et contraintes technologiques
Les concepteurs du projet, qui avaient déjà évoqué les contraintes techniques des supports numériques, ont décidé de simplifier les choses en proposant un livre-web. D’après Walrus, avec le web-livre, finis les incompatibilités de formats et autres… tout le livre se trouve sur le web.
Effectivement, on pourrait considérer cette pratique comme une simplification mais il faut garder à l’esprit que le lecteur doit être connecté… avec les contraintes que cela entraine (problème de réseau, connexion à l’étranger, lieux sans wi-fi… ).
De plus, alors qu’on pourrait penser que Radius joue avec les codes du livre-web pour nous proposer du contenu enrichi, Radius se veut être plus proche du livre que du web… On n’y retrouvera donc aucune animation ni innovation, seulement du texte et quelques photos…
En conclusion, l’idée est bonne mais sûrement encore améliorable. Cependant, d’un point de vue du fond, les amateurs de récits d’anticipation et de super pouvoirs ont des chances d’apprécier l’ambiance Heroes/Lost avec une pointe de Game of Thrones dans la structure narrative, une pincée de Marvel et de Tesseract dans l’intrigue et un soupçon de culture populaire française (un des chapitres s’intitule quand même : « Il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant… »).
Bon j’y retourne… je veux savoir comment se termine ce mariage à Las Vegas…
Le pitch : quelques jours après les effroyables attentats du 11 septembre 2001, une mystérieuse boîte est envoyée à des destinataires éparpillés dans le monde entier et sans relation apparente. En l’ouvrant, ces derniers découvrent qu’ils sont désormais nantis d’un puissant pouvoir : le Radius. Ils peuvent ainsi tordre la réalité à leur convenance, dans un périmètre défini. Mais il y a autre chose dans la boîte : une liste, sur laquelle sont écrits les noms de tous les possesseurs du pouvoir… En dépit de leurs recherches, il leur est impossible de mettre la main sur le dernier possesseur : c’est comme s’il n’avait jamais existé.
Treize années s’écoulent. Mais alors que les tordeurs de réalité sont enfin parvenus à maîtriser leur pouvoir, d’étranges phénomènes naturels commencent à semer la panique sur la planète. Et si le dernier destinataire s’était finalement réveillé ?
V. D’Anna
— Vincianne D'Anna