L’analyse des habitudes de lecture formatera-t-elle l’écriture des auteurs ?
Avez-vous lu votre ebook jusqu’à la dernière page ? À quel moment votre lecture s’est-elle ralentie voire même arrêtée ? Vous avez commenté, surligné un passage intéressant ? Ce sont toutes ces données qui peut-être demain dicteront à l’auteur comment écrire un roman, raconter une histoire et présenter ses personnages.
Ce n’est plus un secret pour personne, les lecteurs sur Kobo, Kindle et autres tablettes et liseuses du même type ne lisent plus à l’abri des regards. Dans un rapport paru à l’automne 2014, les responsables de Kobo expliquaient d’ailleurs à quel point l’analyse des habitudes de lectures pouvaient être une source importante d’informations quant à l’intérêt que les lecteurs portaient au contenu. Alors qu’auparavant, le succès d’un livre se mesurait à ses ventes, aujourd’hui, c’est grâce à l’analyse des données que l’on peut prévoir qui sera un auteur à succès et anticiper.
« Les passages les plus surlignés » sur Kindle
Pour la société Kindle, l’analyse des habitudes de lecture est également au centre des préoccupations. C’est ainsi que en juillet 2014, on apprenait qu’un mathématicien américain, Jordan Ellenberg, avait mis au point une méthode qui permettait de savoir si les possesseurs de Kindle lisaient leurs achats jusqu’au bout. Cette méthode est appelée l’Indew Hawking et son nom s’inspire du célèbre Stephen Hawking, dont le best-seller Une brève histoire du temps (147 semaines sur la liste des meilleures ventes du NYTimes, 237 semaines sur celle du Times de Londres ; traduit en 40 langues et vendu à plus de 10 millions d’exemplaires) est selon cette méthode un des livres les moins lus de tous les temps (oserait-on dire que malgré sa brièveté, on en voit difficilement le bout ?). Cette méthode dépend donc d’une des fonctionnalités principales du Kindle qui consiste à donner la possibilité au lecteur de surligner les passages intéressants d’un livre. Lorsque la liseuse est synchronisée avec le site d’Amazon, elle alimente la catégorie : « les passages les plus surlignés de tous les temps ». Ainsi, si les lecteurs ont surligné des passages au début et à la fin du livre, c’est qu’ils l’ont lu en entier.
Big Data et conséquences ?
Quelles pourraient être les conséquences d’un tel phénomène pour les lecteurs, les auteurs et le monde de l’édition ?
- Pour le lecteur ? Pour celui qui lit et qui transmet des données de lectures, les conséquences sont assez simples. La publicité qui lui sera envoyée sera davantage ciblée. Néanmoins, outre cet aspect légèrement intrusif, on peut également y voir un côté positif : savoir qu’un best-seller n’est en réalité pas lu jusqu’au bout peut davantage guider les choix des lecteurs potentiels.
- Pour les professionnels du livre ? D’après le compte rendu publié par Kobo, pour les professionnels du livre, les avantages sont innombrables. Non seulement le monde de l’édition pourra déterminer ce que signifie réellement et concrètement une « découverte littéraire », mais aussi répondre à une série de questions avec non plus des suppositions mais bien de l’analyse de données. Qu’est-ce qui déclenche un achat chez les lecteurs ? À quel endroit exactement de l’histoire l’intérêt du lecteur commence-t-il à décliner ? Quel style, quelle idée, quel type d’histoire sont-ils le plus appréciés ?
Les contes de fées du « Big Brother »
L’analyse des données récoltées par Kobo, Kindle et consorts révèle des données à la fois étonnantes et amusantes. Certaines histoires s’apparentent parfois à des contes de fées, comme celle-ci qui s’est déroulée au Royaume-Uni. Entre janvier et novembre 2014, le livre le plus achevé du catalogue Kobo (84% des lecteurs qui l’ont commencé l’ont achevé) n’était en fait pas un livre primé mais bien le thriller de Casey Kelleher Rotten to the Core, alors que le best-seller de Katia Lief n’avait été achevé que par 69% des lecteurs. Après la publication de ces données, Casey Kelleher, l’auteur qui avait publié son roman en auto-édition, s’est vue propulsée au-devant de la scène médiatique et a décroché un contrat avec Amazon’s UK publishing imprint Thomas & Mercer. Pour Kobo, ce cas n’est pas un cas isolé, il existe des opportunités à saisir parmi des livres qui ont un taux de vente assez faible mais pour lesquels les lecteurs marquent un réel intérêt. Pour ceux-là, il semblerait utile de voir si les ventes augmenteraient significativement et si l’auteur pourrait accéder au statut d’auteur à succès une fois mis en évidence par la publicité et le marketing.
Malheureusement, la conclusion à laquelle on ne manquera pas d’arriver est la suivante : quelle place peut trouver, dans une telle situation, un chef d’œuvre littéraire ?
Et si le futur se transformait en dystopie, et si on ne trouvait plus que des livres qui ont plu au plus grand nombre ? Et si dans 20 ans, nos liseuses ultra-connectées finissaient par ne nous raconter que des 50 shades of Grey ou des Merci pour ce moment ?
En attendant d’en arriver là (ou pas), petit focus sur la vraie vie des best-sellers :
Les tops :
98,5% : Le Chardonneret, de Donna Tartt, obtient le meilleur score du classement.
66% : Valérie Trierweiller, Merci pour ce moment
44% : le dernier roman de Patrick Modiano, Prix Nobel 2014 : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Les flops :
28,3 pour Gatsby le magnifique
25,9% pour Fifty Shades of Grey
7,3% pour Eric Zemmour qui a quand même vendu plus de 400 000 exemplaires de son essai Le suicide français
2,4% pour Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty.
Pour en savoir plus sur le sujet :
Etude publiée par Kobo : http://cafe.kobo.com/_ir/159/20149/Publishing%20in%20the%20Era%20of%20Big%20Data%20-%20Kobo%20Whitepaper%20Fall%202014.pdf
Articles de presse :
Le Wall Street Journal : http://www.wsj.com/articles/the-summers-most-unread-book-is-1404417569
Le Guardian : http://www.theguardian.com/books/2014/dec/10/kobo-survey-books-readers-finish-donna-tartt?CMP=share
— Vincianne D'Anna