Le point de vue des bibliothécaires expérimentateurs de PNB

PNB (le système de prêt numérique en bibliothèque) existe depuis plusieurs mois au sein de certains réseaux de bibliothèque, dont le Réseau de lecture publique belge (on vous en parlait notamment ici). Ces bibliothécaires ayant expérimenté le système PNB souhaitaient réagir au débat autour de sa mise en place à Paris. Lettres numériques vous propose de lire cette prise de position, en attendant un billet synthétique de la rédaction sur le sujet dans le prochain numéro.

Ces derniers jours PNB a été mis en cause à l’occasion du lancement du projet numérique de la Ville de Paris, basé précisément sur PNB. Nous souhaitons réagir face au déséquilibre patent de ces attaques. En tant que bibliothécaires qui expérimentent PNB sur le terrain depuis plusieurs mois (un an pour deux d’entre nous), nous dressons le constat d’une divergence de vue importante par rapport à  la majorité des critiques lues récemment ainsi que de nombreux points de satisfaction absents des récentes publications. Aucun d’entre nous n’a en effet été contacté en amont des récents communiqués sur PNB…

Nos bibliothèques (Montpellier, Grenoble, Aulnay-sous-Bois, Levallois et le Réseau de lecture publique belge) sont impliquées depuis trois ans dans cette expérimentation et ont suivi toutes les péripéties de ce projet depuis le début. Elles ont aussi mis en place une infrastructure (plateforme de prêt) et une offre au profit de leurs usagers ; l’infrastructure est totalement indépendante de PNB et elle peut tout à fait être connectée à d’autres sources ce qui fait que nos bibliothèques ne sont absolument pas liées à PNB à moyen et long terme.

À côté de la scandaleuse tentative de sabotage du projet de la Ville de Paris, une série de critiques ont été avancées la semaine dernière dont les principales apparaissent comme les suivantes : projet économiquement insoutenable pour les collectivités, risque de fracture territoriale lié au fait que les petites et moyennes bibliothèques ne pourront pas en faire bénéficier leurs usagers, niveau d’aisance relativement élevé des outils numériques requis, « embargo artificiel imposé par les éditeurs », pas d’évaluation après un an d’expérimentation.

Nous nous proposons non pas de dresser une évaluation globale de PNB (qui n’est pas exempt de faiblesses) mais plutôt de répondre point par point aux critiques en fonction de notre connaissance du projet et de notre expérience de PNB sur le terrain :

Question économique

Loin des projections sur base d’hypothèses irréalistes faites par certains en décembre l’an dernier (remplacement de toutes les collections papier des bibliothèques, acquisitions par chaque bibliothèque de toutes les nouveautés qui sortent), les bibliothèques expérimentatrices constatent que les budgets sont totalement maîtrisés et permettent à la fois de développer l’offre avec de nouveaux titres et de racheter les titres qui ont rencontré un grand succès lorsque la bibliothèque l’estime utile ; il faut souligner que c’est en effet l’avantage du modèle de permettre l’achat au titre à titre et donc d’éviter de payer pour des titres qui ne sont pas en adéquation avec les publics et la politique documentaire de la bibliothèque, contrairement à ce qui se passe avec la plupart des autres offres. Le prix moyen d’un livre dans le catalogue PNB est de 17,85 euros. Il est légèrement supérieur au prix proposé au grand public mais cela recouvre les retours aux ayant droits (payés ailleurs pour le papier) et aussi le fait qu’il s’agit d’un service augmenté par rapport à un livre papier puisque un titre peut être prêté entre 10 et 50 fois simultanément (selon l’éditeur). C’est une réelle valeur ajoutée, en particulier pour les nouveautés, car cela permet à plusieurs usagers de lire simultanément le même titre et cela sans devoir en acheter plusieurs exemplaires. Même le Québec dont le projet pretnumerique.ca est un énorme succès ne profite pas d’un tel service permettant le prêt simultané d’un même titre.

En outre, si on calcule tous les coûts réels, le coût total par livre physique doit aussi inclure les coûts lié au film de protection, à la puce RFID et/ou antivol, au temps de travail d’équipement, de catalogage, de mise en rayon, de prêt, de prolongation et de retours par les bibliothécaires, etc. Le temps gagné avec le numérique pourra servir à faire davantage de médiation numérique vers les usagers, par exemple…

Enfin, le modèle de PNB est le même que celui de pretnumerique.ca (dont PNB s’est inspiré), le service québécois est en place depuis près de 4 ans et rencontre un grand succès. Si ce modèle était effectivement économiquement insoutenable, pourquoi aucune des 135 bibliothèques québécoises impliquées ne s’en est retirée ?

PNB

Risque de fracture territoriale

Il est vrai que les deux premières bibliothèques qui se sont lancées sont celles de grandes villes (Montpellier et Grenoble) mais ensuite de plus petites bibliothèques sont arrivées comme Aulnay-sous-Bois, Levallois, Courbevoie ou un petit réseau de bibliothèques du Valais en Suisse. Par ailleurs, des projets mutualisés (plusieurs BDP, le réseau francophone de lecture publique belge) ont été mis en place avec PNB ; ainsi, sur ces territoires plus larges tant les usagers des grandes villes que ceux de petites et même de villages ont accès au même catalogue de livres numériques. En outre, une petite bibliothèque qui préférerait y aller seule aurait des coûts d’infrastructure beaucoup plus faibles qu’une grande car les principales offres d’infrastructure actuelles sont en SaaS (Software as a service ; forme de location d’un site Web dédié à la bibliothèque) ce qui fait qu’il n’y a aucun développement spécifique requis ni de maintenance incombant à la bibliothèque ou au Service informatique de la municipalité, juste un abonnement avec une grille tarifaire adaptée à la taille de la bibliothèque (prix lié au nombre d’usagers en général). D’autre part, la plupart des fournisseurs de SIGB (logiciels de gestion de bibliothèque) sont en train de développer des modules de prêt intégrés qui ne nécessiteront pas la mise en place d’une plateforme spécifique et ne devraient pas être plus chers qu’un autre module du SIGB.

Niveau de maîtrise « informatique » requis

Les mesures de protection (DRM) mises en place dans PNB le sont au même titre que sur la toute grande majorité des ebooks achetés dans le commerce et en outre ont pour seule fonction de gérer la chronodégradabilité des fichiers téléchargés par les usagers lors de leurs emprunts (sinon il ne s’agirait pas d’un emprunt mais d’un don !). Il n’est pas exact de considérer qu’il s’agit d’un frein important car au Québec par exemple, comme le précise BiblioPresto qui a mis en place le projet, ils ont réussi à construire un service très apprécié, utilisé par plus de 250 000 lecteurs dans près de 1000 bibliothèques ; comme le dit en outre le porteur du projet québécois, Jean-François Cusson, « l’un des plus importants groupes d’utilisateurs du prêt numérique est constitué par les personnes âgées (55 ans et +) ».

Dans les bibliothèques utilisatrices de PNB, on constate la même présence d’un public senior peu dérouté par les DRM ; les occasionnelles difficultés rencontrées avec les DRM sont essentiellement limitées à la première utilisation du service de prêt numérique et dans la grande majorité des cas elles sont rapidement surmontées grâce aux guides présents sur les plateformes. Dans les quelques cas où ces aides en ligne ne suffisent pas, elles se résolvent par l’accompagnement des bibliothécaires soit via des formations collectives soit via des accompagnements individualisés. Par ailleurs, plusieurs institutions (comme Readium dont le labo s’est établi à Paris) travaillent activement sur une DRM « light », très simple d’utilisation et qui pourra certainement à terme encore simplifier le processus de prêt numérique.

Mise à disposition insuffisante de leurs titres dans PNB par les éditeurs

71 % des 89 éditeurs présents aujourd’hui dans l’offre alimentent régulièrement le catalogue en nouveautés : on ne peut pas vraiment parler d’embargo généralisé. Par ailleurs, les bibliothèques expérimentatrices ainsi que Réseau Carel, via son groupe Livres numériques, travaille beaucoup sur cette question que ce soit de manière directe lors de leurs rencontres avec les éditeurs ou dans les réunions de suivi du projet PNB avec tous les acteurs du livre ; des progrès considérables ont d’ailleurs été constatés puisque il y a à peine quelques mois on était à 52 % d’éditeurs versant leurs nouveautés. Les bibliothécaires impliqués ne se satisfont néanmoins pas de ce résultat et continuent à travailler sur ce point essentiel de la présence des catalogues numériques complets de tous les éditeurs au sein de l’offre PNB ; de nouvelles rencontres avec les éditeurs vont d’ailleurs avoir lieu rapidement.

Pas encore d’évaluation après un an d’expérimentation

Deux bibliothèques ont lancé leur service il y a un an environ mais les autres bibliothèques expérimentatrices ont lancé le leur fin 2014 et même une en 2015 ; il est donc prématuré de considérer que l’année d’expérimentation est écoulée, sauf à ignorer délibérément le retour des trois autres. Par ailleurs, plusieurs réunions consacrées à la mise en place d’un outil d’évaluation ont rassemblé les différents secteurs du livre (dont Réseau Carel et les bibliothèques expérimentatrices pour notre secteur) et une communication est prévue prochainement.

Rappelons à ce sujet la recommandation de l’IGB (Inspection générale des bibliothèques) : « [La commission] recommande : (…)  4. Dresser une évaluation des coûts et de l’impact du projet PNB deux ans après l’expérimentation ». La participation à l’évaluation en cours de tous les acteurs concernés de la chaîne du livre nous semble constituer la meilleure garantie d’une évaluation équilibrée.

PNB est fortement inspiré de pretnumerique.ca (Québec) qui est une grande réussite de l’avis de tous les observateurs. PNB n’est pas parfait mais il est perfectible et a notamment le mérite d’avoir rallié un très grand nombre d’éditeurs (qui augmente sans cesse, Hachette, Immatériel et Iznéo devant rejoindre prochainement le projet) et d’être mené en concertation avec tous les acteurs du livre y compris les bibliothécaires, les représentants des auteurs et les libraires indépendants. Nous comprenons les impatiences par rapport à ce domaine du livre numérique très attendu mais il faut laisser à PNB le temps de sa mise en place (et de l’intégration de tous les éditeurs intéressés ; 8 nouveaux éditeurs ont encore rejoint le catalogue le mois dernier).

Enfin, pensons aussi un peu à tous les usagers qui attendent une offre concrète de livres numériques alors que d’autres acteurs moins soucieux d’offrir un accès pour tous à la lecture avancent rapidement sur des offres d’abonnements grand public très proches d’offres de bibliothèques et en négligeant plusieurs acteurs de l’écosystème du livre.

Quand on constate une baisse des emprunts de livres de 30% en une décennie (2004-2014) et que l’utilisation des ressources numériques ne cesse de progresser, ne serait-il pas dommage de refuser sa chance au projet PNB ?  À côté des acteurs commerciaux, les bibliothèques doivent être capables de proposer aux citoyens un service de lecture numérique alliant large offre de titres et confort d’utilisation. Il en va de leur avenir…

Les bibliothécaires expérimentateurs de PNB (Montpellier, Grenoble, Aulnay-sous-Bois, Levallois et le Réseau de lecture publique belge)

— Rédaction

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