L’Afrique au numérique
Pour les lecteurs africains, le téléphone change la donne.
Flâner entre les rayonnages d’une librairie, bouquiner une après-midi entière : ce n’est pas gagné d’avance en Afrique. Au Nigeria par exemple, l’encre comme le papier sont très chers, les taxes à l’importation de livres restent élevées, le réseau de distribution, du transport aux magasins, est loin d’être au point et le gouvernement semble avoir du mal à distinguer le rôle de l’éditeur de celui de l’imprimeur. Plus généralement, à travers tout le continent, les auteurs se sentent peu soutenus. Le piratage est monnaie courante, ce qui décourage à la fois les auteurs et les éditeurs. C’est ce que relèvent Alexander Nderitu, pionnier de l’ebook kenyan et directeur du centre PEN au Kenya, Emma Shercliff et Dennis Abrams dans Digital Perspectives.
Le continent africain est-il pour autant condamné aux vieux livres des bibliothèques européennes ? Non : la lecture numérique pourrait bien changer la donne. En effet, les coûts prohibitifs de l’encre et du papier ou les difficultés de transport et d’emmagasinement ne posent plus aucun problème quand on peut lire sur un écran… surtout sur un écran de téléphone. Or les téléphones, y compris les smartphones, se répandent à la vitesse v v’ en Afrique. Une étude du Pew Center (avril 2015) montre ainsi que les GSM sont aussi courants au Nigeria et en Afrique du Sud qu’aux États-Unis. 34% des Sud-Africains possèdent un smartphone.
Worldreader table sur cette évolution : l’ONG créée en 2010 par deux Américains, dont un ancien d’Amazon et Microsoft, distribue des livres dans les pays aux revenus faibles via Kindle, tablettes et les plus basiques des téléphones pourvu qu’ils aient internet. La bibliothèque de Worldreader compte au moins 6000 titres dans une variété de langues, de l’anglais au kiswahili en passant par l’hindi. La plupart de ces titres sont gratuits, la seule chose dont l’utilisateur doit s’acquitter étant la consommation de données. Aujourd’hui, l’ONG exploite également l’énergie solaire pour charger les liseuses en Afrique. En 2013, Worldreader totalisait 334 000 visiteurs uniques par mois. L’UNESCO a mené une étude auprès des utilisateurs de Worlreader. Celle-ci nous éclaire sur la réalité des lecteurs et des lectrices africains.
Ces lecteurs lisent plus, et avec plus de plaisir, sur leur téléphone avec une application comme celle de Worldreader. Ceux-ci sont pour la plupart des jeunes jusque 35 ans, qui sont restés à l’école un peu plus longtemps que la moyenne. Même si les femmes ont en général moins accès à des téléphones sophistiqués, elles semblent être des lectrices plus acharnées : elles représentent 23% de tous les lecteurs mais lisent à elles seules 66% du tout. Notons aussi que les gens lisent à leurs enfants à partir de leur téléphone mobile : voilà un canal essentiel pour promouvoir l’alphabétisation et l’intérêt pour la culture.
Justement, les lecteurs de Worldreader aimeraient avoir plus de textes dans leurs langues et écrits par leurs auteurs. On note aussi une demande pour des textes à la portée d’enfants et de personnes qui se familiarisent avec la lecture. Dennis Abrams dans Digital Perspectives pointe aussi le manque de best-sellers locaux, à partir d’un article dans The Sun, au Nigeria. À ce niveau-là, une initiative comme Fundza Literacy Trust mérite d’être relevée : l’organisation sud-africaine charge des auteurs africains d’écrire pour leur site mobile.
Voilà une excellente initiative, qui combine ce que les Africains ont sous la main et ce qu’ils demandent. Pour que plus d’initiatives de ce type puissent fleurir, des changements plus globaux s’imposent : par exemple, un système efficace de protection des droits d’auteur et un accès fiable à internet. Un jour peut-être, espérons…
Source photo : UNESCO, Reading in the Mobile Era
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Paperight quand le numérique aide à diffuser le livre en Afrique.
— Sibylle Greindl