Elizabeth Sutton : « Une fois son livre écrit et prêt à être publié, c’est là que tout commence. »
À l’heure actuelle, publier un ouvrage peut s’avérer un véritable casse-tête. En effet, les mentalités et les stratégies éditoriales évoluent avec le numérique et il est parfois difficile de se lancer dans l’aventure. Cette semaine, Lettres numériques s’est intéressé à la question en interrogeant Elizabeth Sutton, coauteur de l’ouvrage Publier son livre à l’ère du numérique, un livre qui concilie édition traditionnelle et édition numérique.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que la coauteure du livre, Marie-Laure Cahier ? Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
À l’origine, Marie-Laure est directrice éditoriale dans l’édition traditionnelle, avec une solide expérience de 15 années. Fondatrice de Cahier&Co, elle est aujourd’hui coach éditoriale et collabore principalement avec des auteurs et des maisons d’édition publiant des livres pratiques et universitaires. Quant à moi, j’ai d’abord travaillé chez Amazon France de 2000 jusqu’en 2005, puis j’ai intégré le groupe Hachette en tant que directrice en web marketing. C’est là que j’ai rencontré Marie-Laure avec qui j’ai collaboré durant quelques années. C’est également à ce moment que j’ai été confronté aux premières offres du livre numérique. En 2010, j’ai créé IDBOOX, un site d’informations sur lequel je travaille en tant qu’indépendante, ainsi qu’une structure de conseil ayant pour but d’accompagner les professionnels de l’édition dans le virage numérique.
L’idée d’origine du livre est assez drôle. Le 3 mars 2015, je donnais une conférence intitulée « L’auteur-entrepreneur est-il l’avenir du livre ? » au Labo de l’édition à Paris. À l’époque, Marie-Laure et moi nous étions perdues de vue, mais elle était dans la salle et a assisté à mon intervention. Elle m’a recontactée par mail dès le lendemain pour me proposer de rédiger un livre. J’étais d’accord, mais à une condition : trouver un éditeur reconnu qui nous publie en papier tout en nous permettant de conserver les droits pour l’exploitation numérique. Il s’agissait d’un vrai challenge, mais le livre portant sur l’autoédition, nous devions donner l’exemple. Eyrolles a finalement accepté de nous publier en papier et de nous laisser gérer l’autoédition en numérique. L’ouvrage est désormais en vente sur une centaine de librairies numériques en France et à l’étranger.
Ce choix d’être édité de manière traditionnelle dans une maison d’édition reconnue et en autoédition pour le numérique est un choix symbolique pour illustrer le propos de votre livre ?
En effet, c’est un choix très symbolique, car au-delà du simple fait d’illustrer les propos de notre livre, notre ambition est également de transmettre un message. Bien souvent, les auteurs autoédités sont décrédibilisés par l’édition traditionnelle : ils ne sont pas professionnels, ils ne maîtrisent pas les corrections, la communication et le marketing. Notre but est de prouver aux auteurs qu’il est possible de publier seul un livre de qualité et de montrer à l’édition traditionnelle qu’il existe des ponts et des passerelles à créer et que chacun a sa place dans le monde du livre tel qu’il est aujourd’hui.
Justement, pensez-vous qu’à l’heure actuelle ces deux sphères sont prêtes à travailler main dans la main ?
On l’espère. En tout cas, notre ouvrage démontre que c’est possible. Il est important que les deux sphères ne s’ignorent pas et travaillent ensemble de façon constructive. Les défis à relever sont fondamentaux pour que l’industrie du livre fonctionne et progresse. Un autre exemple d’une possible collaboration est qu’aujourd’hui les éditeurs classiques ont tendance à repérer et à aller chercher les auteurs autoédités qui vendent bien en numérique pour leur proposer des contrats classiques. C’est le cas notamment d’Aurélie Valognes avec son ouvrage Mémé dans les orties. Pour moi, chacun a sa place et la vie à deux ou à trois est possible.
La question des droits est également intéressante dans votre démarche puisque vous avez choisi de les conserver pour le numérique. Pensez-vous que cette pratique va se généraliser ?
Notre livre est un révélateur de cette pratique, mais je ne pense pas qu’elle va se généraliser. Aujourd’hui, lorsque certains éditeurs publient des auteurs autoédités à succès, il leur arrive parfois d’accepter de laisser à l’écrivain ses droits numériques, mais cette démarche s’effectue dans le sens inverse de la nôtre. De plus, cela touche davantage les auteurs connus comme François Bon. Cette pratique n’est donc pas accessible à tous. Cependant, de beaux exemples de cohabitation intelligente peuvent apparaître entre éditeur traditionnel et auteur autoédité.
Quels conseils donneriez-vous à un auteur qui souhaite se lancer dans l’autoédition ? Quelles sont les stratégies à adopter ?
Le premier conseil est de prendre conscience qu’une fois son livre écrit et prêt à être publié, c’est là que tout commence. L’auteur-entrepreneur n’est pas seulement un écrivain, mais également un petit chef d’entreprise, un marketeur, un conférencier, un designer, il doit se renseigner sur la technique, le community management, etc. Avant, une fois l’ouvrage terminé, l’auteur n’avait plus qu’à le délivrer à l’éditeur, réaliser quelques dédicaces, parler en conférence et c’était tout. Désormais, il a une vision de la vie de son livre à 360°. Il s’agit d’une mission sur le long terme pour faire exister et perdurer son livre. Pour cela, l’auteur-entrepreneur doit s’entourer d’ambassadeurs, de lecteurs, de gens qui l’aideront à porter son projet.
D’autres stratégies peuvent se révéler payantes comme utiliser les outils de correction, faire relire son livre par plusieurs personnes pour l’améliorer et enfin, travailler le design de couverture afin que l’ouvrage gagne en visibilité. Cet aspect ne doit pas être négligé pour que le livre évite de se perdre parmi des millions d’autres.
Qui est selon vous l’auteur du XXIe siècle ? Pouvez-vous dresser son portrait ?
Un portrait non, des portraits oui ! Dans notre livre, nous identifions une véritable typologie d’auteurs 2.0. Par exemple, le « jamais sans mon éditeur » qui veut absolument se faire publier par un éditeur, l’auteur hybride qui s’est déjà fait publier traditionnellement et tente l’expérience de l’autoédition (ou le contraire) ou encore les « auteurs-inventeurs » que j’aime beaucoup, qui créent de nouvelles formes de narration. Dans notre livre, nous dressons le portrait d’une dizaine d’auteurs du XXIe siècle. C’est cela qui est intéressant : à l’heure actuelle, il n’existe plus un seul type d’auteur, mais plusieurs. Ils ont tous leur place et leur potentiel à partir du moment où ils respectent le lecteur en lui proposant un contenu de qualité.
Le livre est proposé à 19€ en papier et à 4,99€ en numérique. C’est une réduction de bien plus de 50 %. Selon vous, cette réduction fait-elle partie de la stratégie que doit adopter l’auteur ? Cela ne risque-t-il pas de réduire les ventes papier ? Quelle est votre conception au niveau des prix ?
On sait que le seuil qu’est prêt à mettre le lecteur final pour un livre numérique ne dépasse pas 5€. Certains éditeurs n’hésitent pourtant pas à vendre l’ebook à un prix plus élevé que la version papier. Du côté des auteurs autoédités, un livre se vend au minimum à 1,99€, 2,99€. Fixer un montant au-delà de 5€ est compliqué, surtout lorsqu’il s’agit d’une première publication et que l’auteur ne possède pas encore de notoriété. L’un des atouts du livre numérique est que l’on peut jouer avec son prix, décider de le baisser une journée par exemple, puis l’augmenter. Le pricing est un aspect important dans le numérique et il existe différentes stratégies sur le sujet. Eyrolles, eux, ne nous ont pas imposé le prix du livre et ont accepté que nous proposions aux lecteurs un livre à plus de 70 % de réduction en version numérique, c’est un signe fort dans le monde de l’édition.
Le fait qu’un éditeur accepte de publier un livre en édition classique et de laisser les auteurs gérer l’autoédition au niveau numérique est un message fort perçu aussi bien par les futurs auteurs que par les autres éditeurs. Ce message va donner envie aux écrivains de se lancer. Certes, l’autoédition n’est pas un monde simple, mais si l’on désire donner vie à son livre, il faut se mettre dans un mental d’auteur-entrepreneur et pas seulement dans celui d’un écrivain.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le mini site des auteures.
Propos recueillis par Gaëlle Noëson et rapportés par Elena Burgos
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— Rédaction