« La mécanique du texte » de Thierry Crouzet : l’influence du numérique sur l’écriture
Les outils technologiques influencent-ils l’écriture littéraire ? C’est la question que s’est posée Thierry Crouzet dans son essai La mécanique du texte paru en juin 2015 chez Publie.net. L’auteur s’interroge sur l’impact du numérique sur le style de l’auteur, sur la forme du texte, mais également sur les modalités de publication. Lettres Numériques revient sur les grandes lignes de cet ouvrage.
Le rapport des écrivains aux outils d’écritures
Blogueur, écrivain et spécialiste des nouvelles technologies, Thierry Crouzet engage une réflexion sur le rapport entre les outils numériques et l’écriture. Pour lui, toute technologie n’est pas neutre et l’outil utilisé par l’écrivain touche nécessairement sa création finale. Il cite le philosophe autrichien Günther Anders : « Les instruments […] ne sont pas de simples objets que l’on peut utiliser, mais déterminent déjà, par leur structure et leur fonction, leur utilisation ainsi que le style de nos activités et de notre vie, bref ils nous déterminent. »
« Nous utilisons différents outils parce que l’outil n’est pas neutre. Celui qui convient à l’un ne convient pas forcément à l’autre, parfois pour des raisons opposées », affirme Thierry Crouzet. L’essayiste ne prône aucune technique d’écriture et n’entend pas s’exprimer au nom de tous les auteurs, mais simplement expliquer ses préférences au regard de son expérience. Finalement chacun développe un rapport personnel aux outils d’écriture en fonction de ses habitudes. Crouzet évoque notamment John Irving qui adopte l’écriture manuscrite, car elle lui permet de contrôler son style et Philippe Djian qui rédige sur ordinateur avec une police de caractères New York exclusivement.
L’écrivain du XXIe siècle selon Thierry Crouzet
Actuellement, nous sommes dépendants de cette technologie : correcteur automatique, mise en page, traitement de texte, difficile de compter sans eux pour rédiger. Thierry Crouzet lui-même se dit tributaire de ces outils numériques : étant dysorthographique, sans eux il ne serait pas devenu écrivain.
Toutefois, pour Crouzet, l’auteur doit prendre le pas sur cette technologie, jouer avec elle et l’expérimenter. De plus, l’écrivain du XXIe siècle doit savoir coder : « refuser d’apprendre à coder, c’est refuser de porter les lunettes qui permettent de voir le présent. Le code, c’est une écriture au moins aussi fondamentale que celle des langues et des chiffres », affirme-t-il. Le code comme nouvelle écriture permet à l’écrivain de découvrir un nouveau champ d’expression et de passer d’un support de publication à un autre.
De nouveaux supports pour de nouvelles formes littéraires
La multiplicité des outils d’écriture (Crouzet cite entre autres Search, Ulysses, PHP, Antidote, WordPress et Word) est due à la multiplication des lieux de publication : blog, web, liseuse, smartphone, etc. Ces nouveaux supports de publication engendrent l’apparition de nouvelles formes littéraires que Crouzet expérimente à l’image de son « Twiller », Croisade, un thriller écrit avec des contraintes de Twitter (140 caractères maximum) et publié en 5200 tweets du 25 décembre 2008 au 1er avril 2010. L’écrivain est également actif sur son blog et via la plateforme d’autopublication Wattpad. Chaque support possède des caractéristiques propres auxquels l’auteur doit adapter son écriture : le blog par exemple privilégie davantage un contenu court et sérialisé. Doit-on alors privilégier un support plutôt qu’un autre ? Crouzet répond par la négative : « un auteur a tout intérêt à utiliser la métaphore du flux et à faire vivre son texte à travers différents supports ».
Repenser le livre pour une lecture optimale
Le numérique pousse finalement l’auteur à repenser tout le processus d’écriture depuis l’acte de création littéraire jusqu’à la publication du texte. Un récit littéraire interactif sera construit et pensé différemment d’un roman classique papier. Cela suppose une réflexion de la part de l’auteur, mais également de l’éditeur. Ce dernier est confronté à de nouvelles problématiques avec le livre numérique : faut-il imposer ses choix éditoriaux au lecteur (police, place du sommaire, etc.) ou lui laisser davantage de liberté ? Cependant, sa marge de manœuvre se trouve réduite face aux problèmes de standardisation des fichiers et des normes qu’il doit respecter afin de pouvoir publier l’ouvrage sur les différentes plateformes.
Pour Thierry Crouzet, le support de lecture doit s’adapter au lecteur. Cela fait partie des capacités du numérique et participe au confort de lecture. Il argumente en évoquant le réglage typographique. En effet, pouvoir augmenter la taille de police ou changer la police de caractère sont des aspects importants pour le lecteur. Il serait dommage de passer à côté du roman de l’année à cause d’une police qui dérange. Ce n’est pas pour rien que les grands du numérique tentent de créer une police idéale, à l’image de Google avec Literata notamment. Pour Crouzet, son livre doit être épuré au maximum afin de permettre au lecteur de devenir acteur voire même codeur à son tour. L’ebook ne doit plus être un objet fermé et doit s’éloigner de la métaphore du livre. Finalement, une projection homothétique du livre papier n’a aucun intérêt pour lui.
Retrouvez La mécanique du texte de Thierry Crouzet en version papier et numérique (ebook gratuit à l’achat du livre papier) sur le site Publie.net et sur les librairies en ligne (Amazon, Apple, Kobo, etc.).
Elena Burgos
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— Rédaction