Dominique Cardon : « Les algorithmes prétendent n’être que le reflet du comportement de l’internaute »
Le 19 avril prochain aura lieu la prochaine conférence du cycle « Pour un numérique humain et critique ». Cette fois, la rencontre aura pour thème les algorithmes. Comment fonctionnent-ils ? Quels sont leurs avantages ? Dominique Cardon, spécialiste du domaine, animera la conférence et vous fera découvrir l’univers de ces algorithmes qui rythment de plus en plus nos vies. Rencontre.
Sociologue au laboratoire des usages d’Orange Labs et professeur associé à l’Université de Marne-la-Vallée, Dominique Cardon étudie depuis un certain temps l’évolution des nouvelles technologies : téléphone et Web (blogs, réseaux sociaux, Wikipédia, etc.) « La question de la structuration de l’information m’a toujours intéressé. Comment est organisée l’information numérique et quels sont les outils techniques mis en place pour hiérarchiser cette information ? Pour approfondir le sujet, je me suis notamment beaucoup penché sur le prince des algorithmes, Google. »
Mais qu’est-ce qu’un algorithme concrètement ? Il est vrai que le concept peut paraître abstrait. Dominique Cardon le définit comme une suite d’instructions pour procéder à un calcul. Pour faire simple, on peut le comparer à une recette de cuisine : « Nous avons des ingrédients et des instructions qu’il faut suivre dans l’ordre pour parvenir à un résultat final réussi ou pas. La notion d’efficacité est importante car le résultat d’un algorithme peut être efficace ou non. » L’objectif d’un algorithme ? Transformer une masse abondante de données brutes qui n’ont pas de sens en quelque chose qui produit de la signification. Dominique Cardon explique : « la vocation de l’algorithme est de partir du bruit pour y trouver un signal qui permet de donner un sens, ce qui n’est pas toujours le cas. »
Si les algorithmes sont souvent perçus comme des calculs mathématiques dont il faut se méfier, ils demeurent néanmoins indispensables à l’univers numérique actuel car, sans eux, nous serions totalement perdus. « Il est vrai que les algorithmes peuvent nous manipuler, nous enfermer ou nous orienter vers des chemins que nous n’aurions pas forcément empruntés. Ils permettent cependant de nous orienter et de découvrir des choses. Alors oui, il faut s’en méfier mais il faut surtout faire avec, les comprendre, les critiquer, les déconstruire. Nous avons épousé ces calculateurs, il faut maintenant les apprivoiser pour arriver à tirer le meilleur de ce qu’ils peuvent nous apporter. »
La précédente conférence du cycle, animée par Yves Citton (notre article ici), avait pour thème « l’écologie de l’attention ». Revenons à cette idée : « Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation d’hyper sollicitation générée par des flux multiples et variés. Une compétition entre les services du Web s’est engagée afin d’orienter notre attention vers eux, par le biais des algorithmes. Pour ne pas se laisser guider par ces outils, l’internaute doit développer une culture critique, des bulles de réflexion et d’attention » explique Dominique Cardon. « Le pouvoir ne doit pas être laissé uniquement aux ingénieurs et informaticiens. Il faut faire des algorithmes une question démocratique et pédagogique. »
Comment faire pour décortiquer ces algorithmes et ne pas en être prisonniers ? Sans doute avez-vous déjà appréhendé ces outils, par exemple lorsque vous arrivez à la fin de l’une de vos lectures sur le Kindle d’Amazon. Des recommandations de lecture apparaissent, vous proposant des livres susceptibles de vous convenir. « Amazon est un bon exemple car il met en lumière deux risques liés aux algorithmes : d’un côté, la manipulation des outils pour vendre d’autres livres (on parle alors de « loyauté des algorithmes »), d’un autre côté, la création d’algorithmes de filtrage venant renforcer des tendances déjà présentes chez l’individu. Dans ce cas, le risque réside dans le fait de nous confronter à notre propre régularité. Les algorithmes prétendent n’être que le reflet du comportement de l’internaute. Si l’individu est divers, l’algorithme sera divers. S’il a tendance à revenir vers le même type de livres, l’algorithme sera monotone. »
L’algorithme semblerait donc vouloir nous dire : « Montre-moi l’individu que tu voudrais être (divers, cosmopolite), et je te proposerai de la diversité. Si tu me montres que tu ne l’es pas, je continuerai à te proposer la même chose… » C’est bien là que se situe l’objectif du cycle de conférences organisé par Culture et Démocratie, auquel participera Dominique Cardon le 19 avril prochain : développer une culture critique, pour un numérique plus humain.
À relire sur Lettres Numériques :
- Yves Citton : « Le numérique permet le prolongement de l’attention humaine »
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— Gaëlle Noëson