Le piratage de contenus en numérique fait peur tant aux auteurs qu’aux éditeurs. Mais ont-ils conscience des véritables raisons qui peuvent pousser les lecteurs à télécharger illégalement leurs livres sur le Web ? Si dans certains cas les professionnels n’ont pas de prise sur cette forme de consommation illicite, ils peuvent parfois, sciemment ou non, amener leurs lecteurs à se tourner vers le piratage pour diverses raisons. Nous en avons décelé 5 que nous vous dévoilons dans cet article.
Note préalable : ce billet n’a pas pour vocation d’apeurer les professionnels quant au piratage mais plutôt de les sensibiliser aux actions qui peuvent être menées afin d’enrayer dans la mesure du possible cette pratique. Rappelons aussi que, d’après les chiffres du
6e baromètre Sofia (mars 2016), le piratage connait une baisse de 4%.
La plupart des contenus piratés sont issus de livres qui jouissent d’une belle visibilité : best-sellers, livres d’auteurs à succès, œuvres ayant obtenu des prix en tous genres ou encore nouveautés des rentrées littéraires. Soyons francs : à moins d’avoir obtenu le prix Goncourt 2016 ou de s’appeler Ken Follett, les risques de voir ses livres se multiplier de façon illégale sur la toile sont relativement minces. Au-delà de ces ouvrages en vue, d’autres facteurs peuvent pousser le lecteur à se tourner vers une offre illégale, peu importe le contenu dont il est question.
- Indisponibilité d’une offre ebook
Ce n’est pas parce qu’un livre n’est pas disponible en ebook qu’il est moins susceptible d’être piraté. Pour les éditeurs peu enclins à se lancer en numérique (même s’ils sont de moins en moins nombreux), le fait de ne pas proposer leurs livres au format ebook peut d’emblée les confronter à un risque de piratage. Selon les chiffres du
baromètre KPMG paru en 2015, 3 éditeurs sur 5 disposent d’une offre numérique. Pour les autres, le passage en ebook n’est pas envisagé la plupart du temps pour des raisons techniques. Pour ceux-là, il y a un risque. En effet, rien de plus simple pour une personne ayant quelques connaissances dans le domaine du numérique de rendre disponible gratuitement le contenu d’un livre sur le Web à partir de la version papier. Le travail est certes long et fastidieux mais la possibilité n’est pas à écarter, surtout dans le domaine des livres à caractère scientifique, des traductions ou encore des œuvres à succès. La problématique pour l’éditeur comme pour l’auteur est de voir proliférer sur le web des versions piratées de leurs livres qui, en plus d’être proposées gratuitement, peuvent se révéler caduques car numérisées par un amateur. Désormais, la plupart des grandes structures éditoriales publient les versions papier et numérique de manière simultanée et cela afin de proposer rapidement une offre aux lecteurs pour éviter qu’un pirate ne prenne les devants. Une fois qu’une offre légale existe, elle relègue généralement les propositions illégales au second plan et les font parfois même disparaître.
L’un des principaux avantages du numérique est l’économie que l’on réalise au moment de l’achat. En général, l’ebook est proposé à un prix réduit par rapport à la version papier qui est de l’ordre de -30%. Il s’agit là d’une règle adoptée par un grand nombre d’éditeurs. Le prix reste néanmoins indissociable du genre littéraire. Il y a par exemple des « seuils psychologiques » de prix à ne pas dépasser notamment pour la fiction. Le lecteur n’est pas dupe : il sait que le prix de l’ebook ne couvre pas les frais d’impression et de stockage physique du livre. C’est donc la raison pour laquelle il estime que la version numérique doit être proposée à un prix moindre. Certaines structures éditoriales ne jouent pas toujours le jeu du numérique, comme le mentionnait en mars 2016 l’
étude réalisée par « Chasseurs de Livres ». S’agit-il d’une manière de se protéger d’une prétendue cannibalisation de leurs ventes papier ? Beaucoup vous répondront par l’affirmative. Le problème est que, face à des prix trop élevés, certains lecteurs numériques opteront alors pour une version ebook illégale qu’ils rechercheront sur des réseaux parallèles. La vente sera donc manquée auprès de lecteurs qui ne souhaitent pas investir dans la version papier.
Nous vous en parlions
dans cet article : les DRM, ces verrous apposés sur les ebooks afin d’en limiter la propagation, peuvent entraver l’expérience des lecteurs moins expérimentés. Si de récents projets ont vu le jour pour parvenir à une nouvelle forme de protection plus respectueuse et moins contraignante pour l’utilisateur, comme c’est notamment le cas de la DRM Care de Tea (relire notre article
ici), il n’empêche que de nombreuses plateformes ont toujours recours à des DRM plus contraignantes comme la DRM d’Adobe par exemple. Une fois que l’utilisateur s’est identifié, il est clair que la manipulation est plus aisée pour les prochains achats. Cependant, certains lecteurs préféreront outrepasser le système en place afin de pouvoir charger plus facilement l’ePub sur leur support de lecture privilégié. De manière paradoxale donc, les DRM qui visent justement à freiner le piratage peuvent parfois l’entraîner.
La contrainte du format choisi peut également pousser le lecteur à opter pour une solution parallèle illégale. Certains auteurs ou éditeurs choisissent par exemple de ne rendre leurs ebooks disponibles que sur Amazon ou bien le contraire, c’est-à-dire une accessibilité sur de nombreuses plateformes de ventes à l’exception d’Amazon. On se retrouve alors confrontés aux deux situations concrètes suivantes :
- le lecteur qui possède une liseuse Kobo par exemple (ou toute autre marque acceptant le format standard ePub) ne peut accéder à l’offre ebook uniquement disponible sur Amazon ;
- le lecteur qui possède une liseuse Kindle (laquelle ne supporte que le format propriétaire d’Amazon) ne peut accéder à l’offre ebook disponible sur d’autres librairies en ligne proposant le format standard ePub.
Dans les deux cas, le problème peut être réglé grâce au logiciel Calibre (relire notre article), lequel permet à l’utilisateur de transformer son ePub en mobi et vice versa. Cela complique néanmoins le processus de lecture en ajoutant des étapes supplémentaires. Encore une fois, le lecteur peu expérimenté se trouvera dépourvu face à ces situations et cherchera un autre moyen d’acquérir le contenu dans un format lisible sur son support de lecture sans devoir procéder à de nombreuses manipulations techniques.
- Mauvaise qualité de numérisation
Enfin, n’oublions pas qu’un livre numérique reste un livre et que l’expérience du lecteur ne doit pas être négligée pour autant. De nombreux exemples d’ebooks mal numérisés ont fait l’actualité ces dernières années. Nous vous en parlions
dans cet article. Dans le cas d’un ebook mal numérisé, c’est non seulement la réputation de l’éditeur qui est en jeu mais aussi le risque que le lecteur déçu se tourne vers une offre illégale pour les autres livres de l’auteur ou de la maison d’édition. Même si produire un ebook parait facile à faire via des logiciels comme Adobe In Design notamment, il ne faut pas sous-estimer l’importance d’une vérification technique du code mais aussi du rendu sur les supports de lecture.
Comment faire face au piratage et éviter de voir ses livres proposés gratuitement sur des plateformes illégales ? Certains pensent que les offres d’abonnement en illimité pourraient permettre d’endiguer le piratage mais l’incertitude demeure quant à l’avantage financier d’une telle solution pour les professionnels du secteur, d’autant plus que la question de la légalité de ces offres a autrefois été au cœur des débats. Dans tous les cas, l’éditeur, l’auteur mais aussi les plateformes de ventes doivent tenir compte des besoins du lecteur numérique, somme toute similaires à ceux du lecteur papier : avoir la possibilité d’accéder facilement à une offre légale de qualité proposée à un prix en cohérence avec le marché.
À relire dans Lettres Numériques :
— Gaëlle Noëson