Le livre audio en Europe : quel bilan pour 2017, quelles perspectives pour 2018 ?
Aux États-Unis, l’audiobook a définitivement pris son envol avec une augmentation record des ventes sur l’année 2017, tandis que la Chine y a consacré de nombreuses conférences à l’occasion de la dernière Foire du Livre à Pékin. Mais comment cette pratique évolue-t-elle en Europe ? L’arrivée de Google Play Books sur le marché du livre audio nous a semblé l’occasion idéale pour approfondir la question.
Une présence qui ne date pas d’hier
Le livre audio, loin de constituer une innovation technologique récente, est né en concomitance avec l’avènement de la cassette audio. D’abord développé pour un public jeune ou malvoyant, ce concept a connu un certain essor avant de stagner rapidement au cours des années soixante, concurrencé par le lancement et la démocratisation de la télévision. Pourtant l’élaboration de nouveaux supports d’écoute numérique dans les années 2000 a relancé son intérêt et le secteur se redynamise : grâce à la dématérialisation des contenus que ce média permettait et permet toujours, il est désormais possible – une fois associé aux technologies actuelles – d’acquérir un audiobook en un seul clic et de l’écouter sur des supports variés dans n’importe quel endroit.
Quid du marché européen ?
Ce potentiel n’est par ailleurs pas passé inaperçu aux yeux des grands groupes de distribution tels qu’Amazon : déjà bien implanté dans le secteur, aux États-Unis notamment, le géant de la vente en ligne commence à s’intéresser de très près au marché européen. En témoigne l’accord de distribution conclu récemment entre Audible, la société de livres audio d’Amazon, et Mondadori, le géant italien de l’édition. Selon Marco Azzani, directeur d’Audible Italia, cette association a déjà permis l’enrichissement du catalogue, qui atteint désormais 3 000 titres en italien et 10 000 en langue étrangère. Elle répond à une demande croissante : en 2017, ils ont été plus de 10% des lecteurs italiens à privilégier le livre audio aux autres formats.
En Grande-Bretagne, la pratique s’implante elle aussi avec un certain succès dans le paysage culturel. Selon une étude menée par Nielsen, une entreprise spécialisée dans les études d’audience, le nombre d’acheteurs a augmenté de 12% entre 2014 et 2016 : c’est le meilleur chiffre enregistré cette année-là dans le secteur de l’édition anglaise. Quant à l’Allemagne, le catalogue de titres audio est déjà très diversifié et, comme en Italie, la part de l’audiobook représente environ 10% du marché, un chiffre en augmentation constante depuis 2013.
La France à la traîne
Sur le marché français, contrairement à ses voisins européens, la tendance est encore loin d’être installée puisque seulement 1 Français sur 5 a déjà eu l’occasion d’écouter un livre audio en 2017, un chiffre en stagnation depuis le sondage réalisé par Ispos et Audible en 2015. Si les chiffres pour la Belgique sont vraisemblablement d’un ordre similaire à ceux calculés pour la France, il n’existe malheureusement pas encore de statistiques officielles en la matière.
Comment expliquer ce manque d’engouement francophone pour cette « expérience de lecture » pourtant en croissance dans le reste de l’Europe et du monde ? La première explication est sans doute d’ordre culturel : la France accorde encore une valeur particulière au livre papier, synonyme d’enrichissement intellectuel. Les lecteurs sacralisent ce support et ont tendance à considérer l’audio, au même titre que la vidéo, comme un simple divertissement. Un attachement au papier beaucoup moins prononcé dans des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui se prêtent sans état d’âme à cette nouvelle pratique.
D’autre part, le coût de production encore élevé de l’audiobook se répercute sur les prix, peu attractifs pour l’acheteur : il faut compter en moyenne entre 20 à 30 euros pour acquérir un audiolivre au format numérique, un prix quasiment aussi élevé qu’au format CD et supérieur à la moyenne du prix papier.
Les usages peuvent-il évoluer ?
Si seulement 1 Français sur 10 achète des livres audio aujourd’hui, fort est à parier que l’arrivée de Google Play Books sur le marché en ce début d’année aura un impact significatif sur les pratiques des consommateurs francophones. Grâce à l’ajout de ces nouveaux contenus dans le Play Store du groupe, l’offre de livres audio promet en effet d’exploser et d’intéresser un nouveau public : pour l’instant limitée à 4 000 titres environ pour la France, elle s’enrichit d’un catalogue disponible dans plus de 45 pays, susceptible d’augmenter rapidement.
D’autre part, les grands groupes s’activent pour remédier au caractère onéreux des audiobooks : Google propose déjà une collection de classiques à 8 euros et son offre de lancement permet d’obtenir 50% de réduction sur le premier achat. Audible n’est pas en reste puisque l’entreprise a récemment déployé une vaste campagne marketing sur les sites francophones, proposant un abonnement mensuel de 9,95 euros et le premier livre audio offert.
Les distributeurs d’audiobooks peuvent aussi compter sur l’accessibilité croissante du format numérique, facilitée par l’essor des supports d’écoute : assistants vocaux (tels que Google Home ou Amazon Echo), smartphones connectés à l’autoradio et enceintes connectées représentent autant de possibilités d’écouter des contenus chez soi ou en déplacement. Le livre audio n’échappe d’ailleurs pas à la tendance générale de dématérialisation, en France comme en Europe : si l’écoute d’audiobooks sur CD est encore majoritaire, le téléchargement des fichiers numériques augmente fortement, selon une étude du SNE (Syndicat national de l’édition).
L’audiobook, un concurrent pour l’ebook ?
Nous vous en parlions déjà ici à l’occasion de la rencontre internationale des distributeurs numériques, qui s’était tenue en juin 2017 : si le livre audio présente des avantages certains par rapport au livre numérique, tels que son aspect multitâche et la facilité à s’immerger complètement dans l’histoire, il ne semble pas forcément cohérent de placer ces deux supports sur un même pied, puisqu’ils ne procurent pas la même expérience de lecture : quand l’ebook s’adresse principalement à un public déjà lecteur, l’audiobook peut conquérir d’autres consommateurs moins friands de lecture que de podcasts, ou revêtir un autre usage que le divertissement pour les lecteurs (apprendre une langue ou réviser un cours par exemple).
Mieux vaut donc envisager un rapport de complémentarité entre ces deux pistes de développement, désormais incontournables dans le secteur du livre.
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— Elisabeth Mol