Ergonomics : une réflexion artistique autour du smart body
La révolution numérique modifie notre environnement. Et si elle pouvait aussi faire évoluer notre corps, pour nous rendre plus adaptés au monde d’aujourd’hui ? C’est le pari d’Ergonomics, une start-up engagée dans l’émancipation des générations futures, numéro 1 du marché de l’innovation sociale et du design humain. C’est du moins ce qu’on peut lire sur son site. En réalité, Ergonomics est un projet artistique qui vise à réfléchir à l’adaptation de nos corps face à l’urbanisme connecté et aux dérives du phénomène.
« Ergonomics est une prise en main consciente et proactive de l’évolution de notre espèce ». Étalée en lettres capitales sur le site de la start-up, la phrase aurait été prononcée par Jos Valiente, CEO. Il s’agit en réalité d’un pseudonyme adopté par Rocio Berenguer, co-créatrice du projet avec Marja Christians. Elle explique avoir créé ce personnage « comme interface de communication » afin d’être conviées à « des rencontres qui traitent de la Smart City et toucher ce public particulier », comme le rapportent nos confrères de Digital-Arti Mag. Après avoir participé à certains événements de ce type, le projet a évolué : « ce n’est pas une économie viable. Nous avons dû faire des compromis et nous produire en tant que spectacle. »
Vers l’optimisation personnelle
Les 10 et 11 février derniers, Ergonomics a ainsi participé au Festival « Sors de ce corps ! » à la Gaîté Lyrique. Ce spectacle-conférence prend la forme d’une présentation marketing des innovations de la fausse start-up. Pour s’adapter aux nouveaux environnements urbains et technologiques, une évolution biologique serait nécessaire. Ergonomics propose donc un « Smart Body Training Protocol », en reprenant les codes de beaucoup de projets actuels liés au numérique. Le smartphone est ainsi omniprésent et le discours encourage la rentabilisation de son être, la gestion de son image, l’optimisation personnelle.
Dénoncer les dérives des nouvelles technologies
La conférence est animée par deux hôtesses (les fondatrices du projet) et accompagnées d’un danseur de talent, Patric Sean Gee-Hou Kuo. Ensemble, ils incarnent leur conception du smart body : rigidité des gestes, sourire en coin, poses artificielles, etc. « L’urbanisme chorégraphie le corps des citoyens, les objets technologiques chorégraphient notre gestuelle quotidienne. J’ai eu envie de chorégraphier le corps de spectateurs pour mettre en évidence cette relation », précise Rocio Berenguer. Ce spectacle à la croisée des genres a donc pour but de pointer les dérives et l’absurdité de certains comportements humains, dictés par le progrès technologique et l’ère numérique.
Les technologies changent notre vision du monde
Au-delà des comportements, Ergonomics dénonce aussi les entreprises du numérique qui diffusent une certaine conception du monde. Selon Rocio Berenguer, « [l]es outils technologiques, comme Google par exemple, transmettent des valeurs. Ils nous montrent une façon de voir le monde, de s’y relier. Ils changent aussi notre vision de nous-mêmes. » Le spectacle s’adresse donc au public comme à des clients potentiels, susceptibles d’être séduits par ce que vantent les hôtesses qui animent le show.
Pour mettre le projet sur pied, Rocio Berenguer et Marja Christians ont commencé par analyser les corps en milieu urbain, à travers des enquêtes, des entretiens et d’autres observations. Elles ont ainsi peu à peu constitué un catalogue de postures pour nourrir leur spectacle. Leurs recherches vont être rassemblées dans un Guide pratique du corps dans l’espace public, réalisé en collaboration avec d’autres chercheurs. Le recueil ainsi formé sera publié au format papier ainsi que sous forme d’une interface numérique à l’automne 2018. D’ici là, vous pouvez retrouver l’agenda des prochaines représentations de ce spectacle à la croisée des genres via la page dédiée du site d’Ergonomics.
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— Raphaël Dahl