L’autoédition : un secteur en transformation
Si le phénomène de l’autoédition n’est pas neuf, il connaît, ces dernières années, un succès grandissant. Ceci s’explique, entre autres, par le développement du marché du livre numérique, particulièrement adapté à cette démarche, et par la forte croissance d’une communauté d’auteurs active et organisée. Cette croissance éveille un intérêt particulier chez les éditeurs et distributeurs, et entraîne des changements au sein même de la structure de l’autoédition. Alors que celle-ci est basée, à l’origine, sur la suppression d’intermédiaires entre l’auteur et le lecteur, de nouvelles modalités voient le jour, telles que des formes hybrides de publication, l’apparition de prestataires techniques et commerciaux spécialisés ou des associations d’auteurs autoédités.
Dans la forme « classique » de l’autoédition, l’écrivain se doit de prendre en charge toutes les fonctions dévolues aux intermédiaires. Il devient donc auteur-entrepreneur et se livre à un double travail : la prise en charge de la fabrication (mise en page du livre, de la couverture, etc.) et le marketing visant à assurer la promotion et la diffusion du livre. Ces derniers temps, néanmoins, certaines entreprises de distribution ont eu à cœur de proposer aux autoéditeurs des outils destinés à créer et à diffuser des livres, sous une forme imprimée ou numérique.
Un investissement financier important
L’investissement financier exigé par l’autoédition demeure souvent important. De plus, les tarifs pratiqués par ces auteurs sont souvent bas dans le but d’inciter à l’achat et à la découverte (le prix d’un ebook est généralement compris entre 1 et 6 euros). Une redevance conséquente, pouvant atteindre jusqu’à 70 %, vient néanmoins contrebalancer cette politique de prix.
Une volonté d’indépendance
Les auteurs autoédités se revendiquent parfois de l’appellation « indés » (c’est, par exemple, le nom de ce mouvement). Ce terme incarne leur volonté d’indépendance et de liberté créative, en réaction aux faiblesses du système éditorial qu’ils pointent volontiers : ses pratiques inadaptées à l’univers numérique, les perspectives de ventes et de mises en avant pas toujours à la hauteur des espérances, la frilosité des grands éditeurs à publier des livres d’auteurs jusque-là méconnus ou encore l’absence d’autonomie dans les choix éditoriaux.
Un tremplin vers l’édition traditionnelle
D’autres auteurs désirent simplement voir leur livre publié dans la perspective de s’adresser à leur entourage, ou encore de se créer un tremplin vers l’édition traditionnelle. C’est le cas de beaucoup de grands succès de l’autoédition, parmi lesquels Hugh Howey et Anna Todd du côté anglo-américain ou Agnès Martin-Lugand et Amélie Antoine en langue française, pour ne citer que les plus notables. Leurs œuvres sont alors souvent repérées par des maisons d’édition traditionnelles qui décident de les publier. L’autoédition peut ainsi devenir un moyen de sélection de potentiels succès, ceux-ci étant assurés par la communauté des lecteurs.
De nouveaux intermédiaires
En outre, pour répondre aux besoins des écrivains qui font le choix de ce type de publication, une économie de l’autoédition s’est développée tandis que de nouveaux intermédiaires apparaissent entre l’auteur et le lecteur.
Citons d’abord les principales plateformes d’autoédition, qui sont liées aux géants de la distribution numérique, comme Kobo Writing Life, Google Play, Tolino Publishing, iBooks Author (Apple), et Kindle Direct Publishing (Amazon). L’autoédition leur permet d’augmenter leur offre de livres numériques.
De nombreux opérateurs spécialisés dans ce domaine existent également. Leur domaine d’activité varie : prise en charge de certaines tâches (relecture, mise en page, illustration, promotion), financement participatif, mise en lien avec une communauté de lecteurs ou même avec des maisons d’édition traditionnelles. Parmi les plus connus, nous retrouvons Wattpad, Books On Demand, Iggybook, dont nous vous parlions ici, ou encore Librinova, que nous évoquions dans cet article. Par ailleurs, de nouvelles plateformes voient régulièrement le jour, comme Stories by Fyctia, qui a récemment adopté un modèle économique innovant. Pour entrer sur la plateforme, les auteurs doivent, en effet, se soumettre à un concours d’écriture. Plus un manuscrit obtient de « likes » lors de la compétition, moins le coût pour l’auteur est élevé.
Un MOOC gratuit
À ce large panel d’intermédiaires, d’autres projets s’ajoutent. Reedsy, par exemple, est un autre type de plateforme, qui met en relation des auteurs avec plusieurs corps de métiers (graphistes, marketeurs, fabricants, diffuseurs, etc.). De plus, la start-up a lancé un MOOC (un cours en ligne ouvert et massif) gratuit qui permettra aux auteurs de mieux maîtriser la chaîne de publication. Plusieurs leçons sont ainsi proposées, allant de l’écriture d’un roman à la rédaction d’un livre pratique en passant par le marketing et les algorithmes d’Amazon. Ce genre de consultance prolifère : des spécialistes proposent leurs services et délivrent leur expertise, parfois sous la forme de livres qui font office de guides.
Des associations d’auteurs autoédités
Enfin, les auteurs qui ont recours à ce type de publication ont parfois tendance à se rassembler en organisations. Ainsi, le groupe des Auteurs Indépendants a récemment été créé, suivant un modèle déjà existant dans les pays anglophones. L’association vise à soutenir les auteurs autoédités par plusieurs moyens. Elle tente, par exemple, de leur donner plus de visibilité, d’encourager les initiatives innovantes et d’offrir une assistance administrative ainsi que des ressources documentaires à ces écrivains.
Le marché de l’autoédition serait donc en pleine croissance, mais la facilité d’accès au marché qui a entraîné une augmentation importante de la production a également engendré un écart entre l’offre et la demande. De plus, la multiplication de nouveaux intermédiaires qui donne lieu à une professionnalisation de la pratique pourrait à terme limiter la liberté et l’indépendance initialement revendiquées par certains de ces auteurs.
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— Raphaël Dahl