Projet PLAY/READ : quand livre et vidéo se rencontrent
Typographe de formation depuis reconverti au motion design, l’artiste Yoan Robin a toujours été intrigué par la manipulation de l’objet-livre et du lien ténu, en apparence invisible, qui relie image et texte pour faire naître un contenu et des impressions uniques. Déjà présenté à Paris à l’occasion de la 5e édition du festival « Anthropologies Numériques » fin 2017, son premier livre vidéo Les Promesses d’un récit questionne notre rapport à l’image et au récit à travers trois grands thèmes : l’autre, le lieu et le temps. Cap sur ce projet artistique hybride et captivant.
Origines du projet
Comme le confie Yoan Robin, le projet PLAY/READ est né d’une phrase prononcée par le metteur en scène iranien Abbas Kiarostami :
« Au début, j’imaginais qu’on éteignait les lumières de la salle de cinéma pour mieux voir les images sur l’écran. J’ai regardé plus attentivement les spectateurs assis confortablement dans leur siège et j’ai constaté qu’il y avait une raison beaucoup plus importante : cette obscurité permettait à chaque spectateur de mieux se séparer des autres et d’être seul, d’être à la fois parmi les autres et d’être séparé d’eux. »
C’est ce rapport intime au support de narration qui fascine l’artiste depuis l’enfance : le plaisir né de la découverte et du contact avec l’objet-livre, d’abord dans son pur aspect physique – format, couleurs, volume –, puis dans la manipulation de son contenu, a influencé son apprentissage et son usage de lecteur. Mais si le livre interpelle Yoann Robin depuis longtemps, c’est finalement son parcours professionnel de motion designer qui déclenchera la mise en œuvre du présent projet, où il cherche à mettre en exergue ce lien entre texte et image en combinant le toucher du livre et la projection d’images immatérielles. Considérant le livre d’art comme un médium duquel nous recevons des informations, mais sur lequel nous projetons aussi nos propres émotions, souvenirs et idées, l’artiste cherche à mettre à nu la sémantique croisée de ces deux vecteurs que sont le livre et la vidéo, le texte et l’image, pour procurer au lecteur une expérience de lecture inédite.
Un rapport renouvelé à la lecture
À travers cette installation vidéo, l’artiste bouleverse les codes classiques d’écriture et de lecture grâce à un dispositif simple : un livre grand ouvert, anodin en apparence, repose sur une table. Seule spécificité : il comporte des markers imprimés en haut à droite de chacune de ses pages, déclenchant la projection de vidéos qui se renouvellent à mesure que le lecteur les tourne. Ce livre numérique sous sa forme la plus brute fait la part belle aux images animées qui prennent corps dans l’espace de la page, tandis que le récit imprimé leur sert de voix off, et vice-versa. C’est tout le rapport à la lecture qui est repensé, puisque se mêlent en une seule expérience l’acte de lecture, solitaire par essence, et l’acte collectif du visionnage. L’immatérialité du numérique se confond avec l’objet physique manipulable, dans une volonté de transcender les contraintes de l’un et de l’autre. La lecture peut se faire à plusieurs, ne doit respecter aucune linéarité et c’est la manipulation de l’objet qui permet, à l’image d’un montage vidéo, de réunir tous les fragments de sens pour former un tout intelligible.
À la rencontre de l’autre
Yoan Robin place l’interaction et la rencontre au centre se son projet, et ce également à travers le contenu de ces Promesses d’un récit divisées en trois volets (l’autre, le lieu et le temps), qui s’alimentent de séquences filmées lors de ses séjours au Népal. L’artiste a demandé aux protagonistes rencontrés pendant son voyage d’y raconter anecdotes et histoires relatives à leur pays. Au travail technique et artistique s’ajoute donc une enquête documentaire et ethnologique venant compléter la démarche de l’artiste. Deux autres « tomes » sont prévus pour faire suite aux Promesses d’un récit : le deuxième a été réalisé cet hiver lors d’une résidence à Séoul, à partir des dialogues de films du cinéaste sud-coréen Hong Sang-Soo. Le troisième sera conçu en septembre et octobre, en collaboration avec Nadine Wanono, anthropologue cinéaste et chercheuse à l’Institut des Mondes africains du CNRS. Son contenu s’inspirera d’une partie de ses recherches sur les Dogons, ce peuple qui vit sur le plateau aride de Bandiagara, au Mali.
Cherchant à dépasser l’aspect « magique » du livre animé, l’artiste souhaite aussi faire de la lecture un enjeu et ambitionne que son œuvre dépasse les lieux d’exposition pour être présentée dans les espaces utilitaires du livre tels que les médiathèques, les bibliothèques publiques ou les salons.
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— Elisabeth Mol