Rencontre avec Alexandre Lemaire, responsable de l’évaluation prospective de la plateforme Lirtuel
À l’occasion du colloque annuel du PILEn qui se tenait en novembre dernier, Alexandre Lemaire a présenté les avancées techniques de la lecture numérique, sous ses multiples casquettes auprès d’EDRLab, la plateforme de prêt en ligne Lirtuel et la FWB. L’occasion de faire une petite mise à jour sur le format ePub et la DRM LCP.
Lettres Numériques : Vous présentiez la plateforme EDRLab comme un écosystème d’édition numérique ouvert et innovant. Quelle est sa mission ?
Alexandre Lemaire : Je fais partie du conseil d’administration en tant que représentant des bibliothèques. EDRLab développe des outils pour les livres numériques. Cela se passe à la fois au niveau des fichiers numériques eux-mêmes, comme le fait de faire évoluer le standard ouvert ePub ; de l’accessibilité, par le développement d’une DRM de protection qui soit light et puisse laisser passer les fonctionnalités d’accessibilité que la DRM d’Adobe ne permet pas ; d’un kit de développement Readium pour les développeurs qui veulent faire une application de lecture et intégrer un ensemble de fonctionnalités préfabriquées. Ce Development Kit, c’est la pierre d’angle qui permet de lire les guides numériques, y compris pour les malvoyants et les dyspraxiques.
Pour vous, quel est l’intérêt de travailler avec ces outils open source ?
À la FWB, on ne travaille pas directement avec les outils proposés. Par contre, on est intéressés par la DRM LCP et on propose l’utilisation du format ePub. La DRM LCP permet une meilleure accessibilité, contrairement à celle d’Adobe qui n’est pas transparente, même si derrière, l’ePub l’est. D’autre part, la DRM actuelle est très chère, un coût que nous font porter les éditeurs en augmentant le prix des ouvrages numériques. Surtout, elle ne permet pas les prolongations d’emprunt. Prenons le cas d’une autorisation à prêter 40 fois un titre via l’acquisition d’une licence qui nous donne ainsi 40 « jetons » : si l’usager veut prolonger sa lecture, il est obligé de réutiliser un de ces 40 jetons d’utilisation. On épuise ainsi rapidement les titres. LCP permet de prolonger sur un même jeton. C’est un win-win pour les éditeurs et les bibliothécaires, car les éditeurs ne devront plus supporter des coûts importants.
Pourrait-on envisager un avenir sans DRM ?
Pour la vente oui, il y a un système de watermarking. Le nom de l’acheteur est inscrit dans le livre, ce qui permet de tracer son utilisation. C’est plus dissuasif qu’autre chose, un blocage social plutôt que technique ! Mais pour le prêt, cela ne peut pas fonctionner. La DRM gère aussi la chronodégradabilité, qui fait qu’au bout de 30 jours le fichier n’est plus lisible sur l’application de lecture de l’emprunteur. On a besoin d’une DRM pour cela ; sauf si c’est du streaming ! Mais nous préférons le téléchargement. C’est plus simple pour lire dans le tram ou dans le train, ou bien en vacances sans devoir passer par un réseau. Quand on est trop connecté, on ne peut pas se mettre en immersion ou lire sans recevoir ses mails ou ses notifications WhatsApp ! L’inconvénient dans ce cas, c’est que l’on est obligé d’avoir une DRM. Il faut créer un compte Adobe. Certains usagers ne sont pas très technophiles et rencontrent des difficultés… Heureusement, ce n’est qu’au départ. La DRM LCP devrait poser moins de problèmes techniques aux usagers que celle d’Adobe.
Lors de notre dernière rencontre, vous évoquiez une phase test pour la DRM LCP. Où en est-elle maintenant ?
Lirtuel s’est proposé comme pilote sur LCP avec la Bibliothèque de la Ville de Paris. Entre temps, j’ai participé pour la FWB aux réunions techniques pour l’intégration de LCP dans la version 3 de Dilicom. Apparemment, ce n’est pas encore tout à fait au point. Par ailleurs, les applications de lecture attendent Readium 2, qui intègre automatiquement la gestion des LCP. Avec Readium 2, cette gestion sera très facile pour ceux qui veulent créer une application de lecture.
Une application déjà compatible est Lisa [voir notre article sur le sujet ici]. Elle n’existe actuellement que pour Apple et les systèmes IOS, pas encore pour Android. Lisa a donné lieu à une application dédiée aux bibliothèques, qui s’appelle Baobab — même si c’est la même application derrière. Nous souhaitons que ce soit aussi accessible à nos utilisateurs Android avant de se lancer. Nous avons demandé à notre prestataire actuel pour Lirtuel de préparer l’intégration de la version 3 de Dilicom et nous attendons en parallèle d’autres applications de lecture, comme Aldiko, qui devrait être dans les premières à offrir des fonctionnalités spéciales pour bibliothèques avec l’intégration des LCP.
Du point de vue des bibliothèques, nous pouvons nous contenter d’une version qui fonctionne bien et que nous pouvons conseiller à nos lecteurs. Rien ne les empêche de télécharger Aldiko pour les livres qu’ils empruntent et de multiplier les usages. On peut commencer sans, mais les liseuses doivent changer leur formware, et donc tout le logiciel derrière qui utilise encore des fonctionnements spécifiques et propriétaires. C’est le cas de Kobo, qui devra faire des développements plus importants. Nous allons sans doute continuer à proposer Adobe en parallèle encore quelques années.
On a vu que le fait de cibler des publics plus éloignés, comme celui des dyspraxiques, permettait de développer des outils plus accessibles. Pourrait-ce ouvrir la voie à d’autres usages ?
Nous voudrions orienter l’offre vers les jeunes afin de mieux les toucher. Il faudrait améliorer les métadonnées associées aux titres des livres, celles des éditeurs étant souvent incomplètes ou n’utilisant pas les mêmes standards que les bibliothèques. Nous travaillons sur l’intégration des métadonnées Electre que nous recevons de Dilicom, notamment sur les catégories d’âge. Nous renouvelons un marché de développement avec le prestataire pour construire un produit avec des fonctionnalités qu’on aimerait développer : les contributions de lecteurs, d’une part, via la plateforme Babelio. D’autre part, nous aimerions intégrer un outil qui permette aux bibliothécaires de donner un avis sur les livres. Les deux intéressent nos usagers. Parfois, ils préfèrent un avis professionnel. Celui des libraires pourrait nous intéresser aussi !
Pour l’avenir, nous attendons donc dès début 2019 l’intégration des métadonnées Electre, plus complètes que celles dont on dispose actuellement, et l’intégration de la version 3 de Dilicom qui va permettre la gestion des LCP ainsi que d’autres fonctionnalités.
Propos recueillis par Emma Kraak.
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— Emma Kraak