La question de l’accessibilité dans le monde de l’édition
L’accessibilité, c’est ce principe qui permet à chacun, quels que soient son handicap et/ou ses besoins, de lire, écouter ou interagir avec du contenu. Chandi Perera, directeur de Typefi, et Gabriel Powell, consultant senior en solutions, se sont intéressés à cette problématique essentielle à l’occasion d’une conférence dans le cadre de la Foire du livre de Francfort, en octobre dernier.
Typefi est un logiciel de publication automatisé qui permet de publier n’importe quel contenu dans n’importe quel format : depuis sa création en 2006, l’entreprise encourage et facilite la publication de contenus accessibles pour tous, quelle que soit la déficience (auditive, visuelle, physique ou cognitive) dont souffre l’utilisateur. Selon Chandi Perera, cette question de l’accessibilité est primordiale puisque nous serons tous victimes d’une incapacité à un stade ou à un autre de notre vie, que ce soit de façon temporaire ou permanente. En effet, 10 % de la population mondiale, soit 650 millions de personnes, expérimentent aujourd’hui une forme de handicap. Avec l’âge, ces incapacités physiques ou cognitives augmentent : environ 65 % des personnes déficientes visuelles ont plus de 50 ans. Selon Chandi Perera, l’un des devoirs des éditeurs consiste à rendre les contenus qu’ils publient accessibles à ces personnes. Or, dans notre société vieillissante, seuls 10 % des publications sont aujourd’hui considérées comme accessibles. Pour améliorer cet état de fait, il est essentiel que des réglementations juridiques et commerciales soient mises en place.
Des avancées au niveau juridique international et européen
Adoptée en 2006, la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées a représenté une première étape dans la lutte pour l’accessibilité. L’article 9 demande d’« encourager la conception, le développement, la production et la distribution d’informations et de technologies de communication accessibles dès le début de la chaîne, afin que ces technologies soient accessibles à un coût minimum. » Le traité a aujourd’hui été ratifié par 86 pays, dont de nombreux pays d’Europe et d’Afrique, l’Australie, le Brésil ou encore l’Argentine.
Adopté en juin 2013 et entré en vigueur en septembre 2016, le Traité de Marrakech a été signé par 51 pays et ratifié par plus de 20 pays. Ce traité essentiel autorise des exceptions au droit d’auteur pour faciliter la création de livres accessibles aux personnes déficientes visuelles ou auditives.
En Europe, la Directive Accessibilité Numérique adoptée en 2016 invite les États membres à imposer l’accessibilité numérique à tous les sites Internet et applications des organismes du secteur public. Les États membres avaient jusqu’au 23 septembre 2018 pour transposer cette directive dans leur droit national, ce qu’a notamment fait la France. Pour ce qui est de la Belgique, les sites du secteur public créés après 2018 devront être conformes d’ici le mois de septembre 2019. Les sites déjà en ligne doivent s’y conformer d’ici le mois de septembre 2020. Quant aux applications mobiles, le délai est allongé jusqu’en 2021.
Quels sont les critères pour définir l’accessibilité d’un document ?
Différents requis entrent en compte :
- une rédaction cohérente ;
- une structure sémantique correcte ;
- une identification efficace de la langue ;
- un texte redimensionnable ;
- des couleurs et des contrastes satisfaisants.
La question du format est aussi importante. Aujourd’hui, les formats accessibles sont les suivants :
- Format imprimé : les documents papier sont ceux qui ont aujourd’hui le plus grand public, car elles ne nécessitent ni électricité, ni de connexion Internet.
- HTML : des standards (WCAG 2.0) d’accessibilité existent, mais le meilleur d’entre eux (AAA) reste encore très difficile à mettre en place.
- ePub : nous vous en parlions dans un précédent article ; pour que l’ePub 3 soit exploité au maximum de ses capacités, il est essentiel que l’offre ePub 3 nativement accessible existe (voir notre article sur le sujet ici). La version actuelle ne prévoit pas non plus d’identification de la langue.
- DAISY : le DAISY Forum of India (Inde) a remporté le Prix international d’excellence en matière d’édition accessible de l’Accessible Books Consortium pour l’édition 2018, dans la catégorie « projets » : en août 2016, le réseau composé d’une centaine d’organisations a lancé la plus grande collection de livres accessibles en ligne en Inde.Nommée Sugamya Pustakalay, elle a donné naissance au premier service centralisé des livres accessibles disponibles dans le pays.
- PDF/UA : à l’opposé de l’ePub qui connaît un certain déclin, le PDF/UA gagne en importance. Grâce à la présence de métadonnées supplémentaires, ce format est accessible aussi pour les lecteurs d’écran.
Comment parvenir à une meilleure accessibilité ?
Les formats DAISY et ePub encore problématiques
- DAISY, pour Digital Accessible Information System, est un lecteur développé et promu par le consortium international DAISY. Il reste largement utilisé par les personnes empêchées de lire, mais il ne conserve pas la mise en page originale. De plus, le prix de l’appareil conçu pour l’écouter est particulièrement onéreux. Le logiciel de lecture peut être téléchargé gratuitement sur un PC, mais cette solution s’adresse à un public déjà équipé et formé.
- Le format ePub consiste en fait en une archive ZIP qui contient un site web incluant notamment des fichiers HTML, des images et des feuilles de style CSS. Si ce dernier est devenu le format le plus utilisé pour les ebooks, les lecteurs d’ePub ne répondent malheureusement pas à tous les critères d’accessibilité (pour plus d’informations sur les problématiques soulevées par DaISY et ePub, relisez notre interview de Fernando Da Silva, consultant accessibilité pour EDRLab).
Le PDF/UA est-il la solution ?
Ce format présente de nombreux avantages. La structure du document est indiquée par des marqueurs qui permettent aux lecteurs sur écran de naviguer facilement dans le contenu du document. L’ordre de lecture est clair et facile à suivre. Des tableaux (et non des touches de tabulation ou des espaces) sont utilisés pour créer une structure tabulaire. Du texte alternatif permet de visualiser liens et graphiques. La mise en page est conservée afin que tous les publics puissent y avoir accès.
En conclusion de la conférence, Chandi Perera donne quelques conseils aux éditeurs quant aux critères à prendre en compte pour parvenir à fournir des documents plus accessibles :
- il vous faut d’abord définir le niveau de conformité auquel vous vous situez actuellement, et vous assurer que l’accessibilité est un objectif atteignable en passant en revue vos workflows ;
- il ne suffit pas d’un seul format pour satisfaire tous les besoins des utilisateurs en termes d’accessibilité : mieux vaut en développer plusieurs, en veillant à ce que « le coût soit minimal » ;
- mieux vaut un peu d’accessibilité que pas d’accessibilité du tout !
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— Elisabeth Mol