Ebook.bike, un YouTube littéraire très controversé
L’association d’auteurs américains Authors Guild a lancé un appel aux écrivains pour réclamer la suppression des liens du site ebook.bike sur Google. Ce site est considéré comme « pirate » car c’est une plateforme proposant des milliers d’ouvrages numériques gratuitement, et cela sans avoir les droits et sans DRM. Avec plus d’un million de visiteurs mensuels, ce site provoque la colère des maisons d’édition et des auteurs. Ceux-ci estiment qu’ « il n’y a aucune raison pour qu’un site qui repose sur le trafic de livres volés soit aussi facilement accessible ».
Crime et châtiment
Il est reproché à cette plateforme de ne pas se soumettre aux droits d’auteurs et de proposer ainsi des livres gratuitement. Authors Guild dénonce l’inefficacité du formulaire Google DMCA, censé protéger les droits d’auteurs et combattre le piratage. En effet, la législation comporte des failles librement exploitées par le site. Dès lors, l’association appelle les auteurs à envoyer des avis de retrait auprès de Google pour que des mesures fortes soient prises. Le site a bel et bien été coupé le 7 mars, mais a depuis été remis en ligne sur d’autres serveurs, le créateur du site ayant trouvé un autre hébergeur.
Origines du site et des problèmes
Travis McCrea, basé au Canada, n’en est pas à son coup d’essai. Il avait créé en 2011 un site de torrents (Tormovies) qui avait alors déclenché la colère des ayants droit du cinéma. Il a créé ebook.bike après un parcours politique au sein du Parti Pirate qui, rappelons-le, porte dans ses revendications la suppression de tous droits d’auteurs et autres brevets pour rendre accessible la connaissance à tous.
Plaidant pour un monde meilleur, Travis McCrea souhaite « mieux faire connaître les auteurs » et estime que sa plateforme est avant tout un outil permettant de soutenir les auteurs. Selon lui : « ebook.bike, c’est la bibliothèque ultime des livres numériques ». Aux très nombreuses critiques qui lui sont adressées, il se défend en comparant son site à une plateforme d’hébergement telle que YouTube. Soumis au Digital Millenium Copyright Act (DMCA), il argue que les ayants droit n’ont qu’à envoyer une réclamation pour que le contenu en question soit supprimé du site.
C’est précisément le nœud du problème : le contenu est bel et bien supprimé du site, mais, comme sur YouTube, il est possible pour les internautes d’uploader eux-mêmes des documents. Donc, dès qu’un livre est supprimé sur le site après une plainte, rien n’empêche un utilisateur de remettre l’ouvrage sur le site. Les auteurs et les maisons d’édition ont donc face à eux l’équivalent numérique du mythe de Sisyphe qui leur demandera de toujours vérifier le contenu du site et réclamer si un de leurs ouvrages y est présent.
McCrea renchérit : « Il y a beaucoup de colère et je prends la pleine responsabilité d’avoir attisé le feu. » Le remue-ménage autour de ce site lui est bénéfique car, surfant sur la vague de colère et d’indignation des auteurs, il atteint davantage de lecteurs. En effet, les plaintes et les débats autour d’ebook.bike font en sorte que de nouveaux lecteurs prennent connaissance de cette plateforme.
Face au succès grandissant de ce site, The Society of Authors a décidé de porter plainte alors que Hachette UK dit continuer sa lutte contre le piratage et que l’UNEQ explique la marche à suivre à ses auteurs pour retirer un ouvrage de la plateforme.
Et après ?
Selon McCrea, pour que tout le monde soit content, il faudrait créer un système dans lequel les auteurs gagneraient de l’argent en offrant des epubs aux lecteurs. Ces derniers pourraient alors découvrir de nouveaux écrivains. Sa théorie repose sur l’idée que les consommateurs, s’ils sont dans de bonnes dispositions, peuvent devenir de bons clients. En effet, s’ils lisent gratuitement des epubs, ils peuvent avoir tendance à acheter un ouvrage physique ou à en parler autour d’eux. McCrea confie avoir déjà reçu des messages de plus de 1500 auteurs enthousiastes se disant intéressés par une modification de l’écosystème de la lecture numérique.
McCrea estime que « l’industrie de la musique réussit cela depuis de nombreuses années. Cependant, les grands éditeurs ne sont parfois pas très rapides à se mettre au goût du jour. Ils doivent apprendre de l’industrie du film et de la musique. » Il ajoute à cela : « Nous voulons donner plus aux auteurs, donc nous mettons à disposition des données pour les auteurs qui le souhaitent. » Celles-ci consistent en des données géographiques qu’il est possible d’analyser pour créer des outils promotionnels sur mesure, des campagnes marketing, etc. « Nous avons aussi des avis d’utilisateurs, donc les auteurs peuvent savoir ce que les lecteurs aiment ou n’aiment pas dans leurs ouvrages. »
De son côté, Authors Guild va continuer son combat pour fermer le site. Cependant, dans un contexte légal plutôt flou et daté (la DMCA date de 1998), les possibilités pour imposer le droit d’auteur sont très compliquées. Ça l’est d’autant plus quand on constate le succès d’une plateforme telle que YouTube qui a su trouver un équilibre entre les maisons de disques, les internautes et les droits d’auteurs. Ne serait-ce pas une évolution logique du milieu éditorial que de travailler à la création d’un équivalent littéraire ?
Sources :
- https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/pirater-les-livres-et-creer-un-monde-meilleur-pour-les-auteurs/93670
- https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/piratage-ca-sent-tres-mauvais-pour-le-site-ebook-bike/93695
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— Jean Cheramy