Chine : premier pas vers la protection de l’IA par le droit d’auteur
En janvier 2020, un tribunal chinois a décidé d’accorder à la création d’une intelligence artificielle (IA) la protection sous le droit d’auteur. Pour quelles raisons ? Et quelles répercussions cette décision va-t-elle avoir ?
Le droit d’auteur à l’échelle internationale
Les IA créatrices pullulent aujourd’hui et se diversifient dans leurs domaines d’activité : de la traduction à la peinture, le spectre des possibilités s’avère immense, tant et si bien que l’on peut désormais affirmer avoir créé des IA qui créent elles-mêmes des inventions originales. Juridiquement, cette affirmation n’est cependant pas sans conséquence.
En droit de la propriété intellectuelle, il existe, à quelques nuances près, un consensus mondial sur le fait que toute création de l’esprit peut être protégée. Le terme d’« esprit » constitue, à lui seul, le cœur du problème : l’esprit est le propre de l’être humain et lui permet d’avoir conscience de ses actes, ce qui n’est pas le cas d’un robot.
Une question d’interprétation
Et pourtant, en droit, chaque terme est continuellement sujet à interprétation. C’est ainsi qu’un tribunal chinois de la ville de Shenzhen a pris en ce début d’année une décision inédite.
Dans les faits, le litige a eu lieu entre deux entreprises. La première est le géant Tencent, qui a développé en 2015 une IA nommée Dreamwriter, chargée d’écrire des analyses financières ensuite publiées sur Internet avec, en guise de signature, la mention « l’article a été automatiquement rédigé par Tencent Robot Dreamwriter ».
L’un de ces papiers, écrit en août 2019, a été repris à l’identique, signature comprise, sur sa plateforme en ligne par une société nommée Shanghai Yingxun Technology Company. Tencent a donc poursuivi son adversaire en justice pour plagiat, c’est-à-dire en violation du droit d’auteur de Dreamwriter.
Une décision inédite
Une telle action en soi n’est pas inédite : il y a déjà eu, dans différents pays et à l’échelle européenne, des affaires questionnant la relation entre IA et droit d’auteur. Mais toutes se sont jusqu’ici soldées d’une absence de protection pour les créations de l’IA. Pour valider ou non la protection sous le droit d’auteur, un juge, en Chine ou ailleurs, doit notamment déterminer si la création considérée est le fruit de l’esprit du créateur et si elle est originale, c’est-à-dire si elle exprime l’esprit du créateur.
Néanmoins, pas d’esprit en vue chez Dreamwriter et, classiquement, un intermédiaire n’est pas admis entre l’esprit et sa création. Le tribunal a pourtant décidé d’interpréter au sens large la relation entre l’esprit et la création, et a ainsi admis que l’esprit humain qui a créé l’IA qui a écrit l’article pourrait emporter la protection. Cette décision reviendrait, selon ses détracteurs, à décorer le professeur pour l’invention de son élève.
Ensuite, le juge a analysé l’article écrit par le robot et a estimé qu’il présentait une certaine originalité. En effet, il était cohérent et structuré, et montrait un travail intellectuel de sélection et d’analyse d’informations. Dès lors, l’article a pu être protégé et la plateforme chinoise s’est vue condamnée à verser à Tencent une amende de 200 euros, car elle avait supprimé l’article à temps.
Finalement, bien que cette décision soit aujourd’hui esseulée, elle peut constituer le début d’un changement de point de vue à travers le monde. En effet, la protection au titre du droit de la propriété intellectuelle a été pensée pour encourager l’innovation, pas pour la réfréner…
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— Nausicaa Plas