DPUB Summit 2020 : Le futur de l’industrie du livre après la crise du coronavirus
Michael Tamblyn, président et directeur de Rakuten Kobo, était convié au Digital Publishing Summit 2020, qui s’est tenu en ligne début juin, pour donner une conférence sur le futur de l’industrie du livre. Ayant une longue carrière dans le développement digital du marché du livre, il s’est exprimé à propos de la manière dont Kobo s’est adapté à la crise et de ses souhaits pour le futur.
La crise a permis de souligner les faiblesses comme les forces du secteur. Depuis le début de cette crise, ses acteurs ont dû se poser de nouvelles questions que personne n’avait imaginé se poser. Tamblyn a partagé trois catégories de questions auxquelles lui et son équipe ont fait face durant cette période.
Qu’a révélé la crise du coronavirus concernant la manière dont Kobo fonctionne en tant que compagnie ? Comment travailler dans le futur ?
Kobo a été amené à se poser des questions assez tôt et a eu très tôt un regard sur la pandémie en raison de ses usines situées en Chine et à Taiwan. Une semaine par an, la superpuissance industrielle s’arrête de produire en raison du Nouvel An chinois. Heureusement, les entreprises prévoient toujours de produire plus en amont pour combler cela. Hélas, cette année, cette pause s’est allongée d’une semaine. C’était la première fois qu’on entendait parler du coronavirus. Ensuite, le confinement a suivi. Michael Tamblyn explique que les premières décisions qui en ont découlé ont donné la priorité à la santé des ouvriers avant tout.
À la fin du mois de février, les usines de Kobo produisaient déjà 50 % de ce qu’elles produisent en temps normal, grâce à des conditions de travail particulièrement hygiéniques et permettant ainsi la reprise dès que les ouvriers ont pu rentrer chez eux.
Assez tôt, Tamblyn et ses collègues se sont demandé que faire au cas où le coronavirus se répandait. En février Kobo annonçait ainsi l’adoption du travail à distance par tous ses employés, mis en place lors de la première semaine de mars. Les employés de l’entreprise étant répartis dans plusieurs pays, la collaboration en télétravail faisait déjà partie du quotidien d’un bon nombre d’entre eux. Et cela ne fera que se développer.
Ensuite, en raison du confinement, 10 000 revendeurs ont fermé. De nouvelles questions ont donc suivi. Cela valait-il la peine de produire 50 % du taux de production habituel si les points de vente étaient tous fermés ? Il s’est avéré que oui ! En effet, les revendeurs (par exemple, la Fnac), aussitôt que leurs points de vente physiques ont fermé, se sont concentrés sur la promotion des ebooks et des liseuses.
Le directeur de l’entreprise estime que la solution pour parer les effets de ce genre de crise est de diversifier les lieux de production de sa chaîne d’approvisionnement. Tout ne peut pas dépendre de la Chine. Des compagnies comme Apple avaient commencé à le faire durant le confinement et Tamblyn est certain que ce mouvement se poursuivra.
Qu’a révélé la crise à propos des lecteurs et de leur relation aux livres ?
Le confinement est apparu comme le moment parfait pour la consommation de livres numériques. Mais comment promouvoir ces produits en temps de pandémie sans paraître opportuniste et insensible ? La réponse est venue du ministère italien de l’innovation technologique (lors de la mise en quarantaine de Milan) : le ministère souhaitait offrir aux Italiens des services et de médias digitaux afin de rendre l’isolement plus supportable. Ainsi, en moins de 72 heures, Kobo faisait une proposition. Michael Tamblyn rapporte que la première semaine de la quarantaine italienne, Montadori avait mis à disposition presque tout son catalogue et Kobo avait offert des milliers de livres gratuitement. Par la suite, l’opération a eu lieu dans d’autres pays. En 75 jours, 15 millions d’ebooks ont été mis à disposition des personnes confinées.
Mais est-ce véritablement avantageux d’offrir des titres en grand nombre plutôt que de les vendre ? La question fâche à l’époque au sein de la compagnie. En effet, d’une part, la plupart des gens qui lisent des ebooks gratuits ne lisent rien d’autre. Mais d’autre part, le confinement présentait une opportunité unique d’initier ses farouches opposants à la lecture numérique. Le pari de conquérir des cœurs était risqué, mais à prendre. Tamblyn souhaitait également rappeler aux gens qu’en temps d’isolation, ils pouvaient se tourner vers les livres et pas seulement vers l’audiovisuel. Finalement, la campagne a fait ses preuves.
Pour Tamblyn, c’est certain : de nouveaux modèles de consommation vont émerger grâce à l’opportunité qu’ont saisie les lecteurs d’essayer de nouveaux médias de lecture.
Quelles forces et faiblesses de l’industrie du livre a révélées la crise ?
Avant le coronavirus, beaucoup estimaient l’industrie du livre suffisamment diversifiée. La crise a permis d’infirmer cela. On sait maintenant qu’il faut avoir un plan en cas d’impossibilité de vente physique des livres. Si un tel plan était inimaginable avant, il est devenu inimaginable de faire sans à présent. Selon le PDG de Kobo, pour les éditeurs, se concentrer uniquement sur les publications papier reviendrait à avoir deux usines à 90 minutes l’une de l’autre à Shanghai et Taipei.
Tamblyn déclare : la mission à présent, pour les boîtes qui ont survécu, revient à créer des moyens de résilience additionnels pour l’industrie, à décider de quelle manière la faire évoluer et comment en renforcer les aspects plus fragiles. Il ne s’agit pas selon lui de traiter cette crise comme un événement unique, mais de rendre l’industrie plus solide et flexible en vue d’une prochaine crise. Il souhaite l’établissement d’un meilleur équilibre entre livres imprimés, numériques et audio, la multiplication des entreprises qui les vendent et la diversification de leurs emplacements.
Pour plus d’info, la conférence complète en anglais est disponible ici.
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— Livia Orban